
Alors que deux lettres publiées récemment (la « lettre d’un vieux prof au président-candidat » et l’adresse d’ATD Quart-Monde au chef de l’Etat) s’arrogent un droit d’inventaire, nous saisissons l’occasion de cette fin de quinquennat pour ouvrir le courrier présidentiel et explorer cinq ans d’apostrophes ignorées.
Une infirmière et une enseignante brisées par l’abandon et l’épuisement, un collectif de sans-papiers aspirant à l’égalité, une militante ougandaise pour le climat, des associations solidaires des exilé·es, une étudiante relatant les rêves confisqués de toute une génération... Mais aussi des chercheuses et chercheurs privés d’archives sur la période coloniale (« L’étrange défaite des historien·ne·s »), un ex-agriculteur refusant la Légion d’Honneur, fustigeant la distribution de gratifications factices (« Les honneurs de la République ») pour maquiller l’abandon des paysans, et la responsabilité du modèle agro-industriel tout à la fois dans leurs suicides et dans l’effondrement de la biodiversité : par-delà la liasse hétéroclite de sujets, de styles, de timbres et de tonalités, ces missives, mises bout à bout, racontent l’histoire d’un échange impossible.
Ces tentatives désillusionnées de contourner la verticalité du pouvoir par des interpellations directes se brisent sur une sempiternelle fin de non-recevoir démocratique : il n’y a personne au bout du fil. Et pourtant, on sait qu’il arrive à Emmanuel Macron de s’agacer sur des tribunes du Club de Mediapart (en l’occurrence, d’après cet article de L’Express, sur cette lettre d’intellectuels à Macron). À la manière de Boris Vian, les contributeurs entament souvent leurs billets par une formule intrinsèquement aporétique et paradoxale — « Monsieur le président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être, si vous avez le temps... » — la communication pour dire l’incommunicabilité, le bruit pour révéler la surdité.
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En riposte à ce règne de tour d’ivoire, les écrits sous forme de lettre ouverte déjouent la fonction initiale de la correspondance, lieu de transmission de l’intime, d’âme à âme et de plume à plume, pour y introduire par effraction la foule des révoltés (...)