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Mayotte, une zone de non-droit
Article mis en ligne le 17 avril 2014

Dans l’archipel des Comores, pour empêcher les supposés étrangers de se rendre et de séjourner sur l’île de Mayotte, département français d’outre-mer, le droit qui s’applique en métropole est estimé inadapté par les gouvernements successifs et un régime dérogatoire a été mis en place dans l’île, cautionnant de nombreuses violations des droits fondamentaux. Avec pour toile de fond la contestation permanente des actes d’état civil, aucun recours n’est possible en cas d’expulsion et les procédures expéditives sont de règle, notamment à l’égard des enfants, principale cible du pouvoir.

Longtemps ignorée, Mayotte est aujourd’hui présente dans les médias mais surtout sous l’angle de quelques stéréotypes : un petit département menacé par des invasions venues des trois autres îles de l’archipel des Comores, le far west de la chasse terrestre et maritime contre ces envahisseurs, la compassion pour les naufrages des frêles esquifs appelés kwassas qui tentent la traversée, la compassion encore envers les enfants abandonnés à Mayotte par des parents indignes.

Les mêmes refrains reviennent régulièrement pour justifier, avec la bénédiction du Conseil d’État [1], un droit dérogatoire. Ainsi, selon un projet d’ordonnance [2], le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) sera bientôt applicable à Mayotte, mais avec « des dispositions d’adaptation aux spécificités locales propres à Mayotte » qui « découlent principalement de la volonté de dissuader autant que possible l’immigration irrégulière, notamment de mineurs, en provenance essentiellement des Comores et, en particulier, de l’île d’Anjouan, située à 70 km de Mayotte et dont le niveau de vie est très inférieur à celui de cette dernière ». Les enfants sont la cible principale afin « de ne pas accroître l’attractivité de Mayotte […] pour les parents qui envoient leurs enfants à Mayotte où ils vivent dans des conditions extrêmement précaires : en effet, le Conseil général n’a pas les moyens de financer un dispositif d’aide sociale à l’enfance (ASE) suffisant ».

Selon ce projet, à Mayotte comme en Guyane ou en Guadeloupe, les étrangères et les étrangers continueront à être interpellés et expulsés de manière expéditive en raison de l’absence des garanties procédurales prévues dans les autres départements français. À Mayotte seulement, il restera plus difficile encore qu’ailleurs d’obtenir un titre de séjour ; ainsi, le droit au séjour d’un jeune arrivé à Mayotte avant ses treize ans sera reconnu, mais seulement s’il y a vécu depuis lors avec un parent en situation régulière. Et le voyage vers la métropole restera pour la plupart des titulaires d’une carte de séjour temporaire soumis à l’obtention d’un visa. (...)

Les « adaptations » du droit ne sont que l’un des moyens mis en œuvre pour harceler ces voisins comoriens (95 %) ou malgaches. Mais il en est d’autres.

Mayotte est un bunker français au sein de l’archipel des Comores, microscopique copie de l’Europe transformée en forteresse face aux migrants. Les « scores » suivants sont souvent évoqués :

  • autant d’éloignements forcés depuis Mayotte que depuis la métropole (en 2013, respectivement 15908 et 15469) ;
  • face à celles et ceux qui tentent la traversée depuis l’île d’Anjouan, la plus proche, une protection naturelle par une barrière de corail, quatre radars et de gros moyens d’intervention en mer. En 2013, 476 kwassas ont été interceptés avec, à bord, 10 610 passagers [6] ;
  • près de 80 % des détenus de la prison de Majicavo sont des « pilotes » de kwassas condamnés à des peines fermes [7] ;
  • des morts par milliers noyés dans l’océan Indien [8] disparus au cours des trajets de plus en plus dangereux empruntés pour déjouer les barrières.

Au-delà de ce théâtre spectaculaire, la diplomatie française avance ses pions. (...)

Au cours d’une période révolutionnaire post-coloniale, le président de l’Union des Comores, Ali Sohili, avait entrepris, en 1977, de mettre fin aux anciennes institutions en donnant notamment l’ordre de brûler les archives de l’état civil. La reconstruction d’un état civil a débuté en 1984 par de simples déclarations, puis s’est poursuivie par des jugements supplétifs ; plusieurs actes ont alors souvent concerné la même personne, avec des données différentes [10]. Cet état civil s’est modernisé depuis 2009, avec l’aide de l’Union européenne et de la France [11] ; les passeports et les cartes d’identité sont désormais biométriques.

Tout cela crée un terrain favorable à la contestation systématique des actes d’état civil anciens et à l’exigence de documents en cours de validité (...)

Au cours de l’examen d’un dossier, une légalisation des documents d’état civil était classiquement requise pour en attester la validité. Depuis 2012, la préfecture utilise une méthode plus expéditive : des policiers spécialisés sont devenus arbitres et les autorités s’en remettent à leur seul avis pour confisquer ou détruire un document. (...)

Le nombre d’enfants expulsés depuis Mayotte atteint des niveaux terrifiants  : 5 978 en 2011, 3 837 en 2012. C’est certes cohérent avec la volonté mentionnée ci-dessus de débarrasser Mayotte de ses mineures et mineurs étrangers isolés. Mais, même à Mayotte, toute mesure d’éloignement prise à l’égard d’un jeune mineur est illégale… sauf si l’enfant est accompagné de l’un de ses parents ou d’une personne détentrice de l’autorité parentale. Or, il est notoire depuis plusieurs années que cet interdit est régulièrement contourné, soit en inscrivant l’enfant comme étant né le 1er janvier de l’année qui le transforme en majeur, soit par un rattachement fictif à l’arrêté de reconduite d’une ou d’un adulte dépourvu de toute autorité parentale à son égard [12]. (...)

Peut-on avoir quelque espoir que cessent des violations aussi flagrantes des droits ? Il est difficile d’être optimiste, mais l’éclaircie viendra peut-être de la Cour européenne des droits de l’Homme : « Si les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose [le droit à un recours effectif], celle-ci ne saurait permettre, comme cela a été le cas dans la présente espèce, de dénier au requérant la possibilité de disposer en pratique des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger contre une décision d’éloignement arbitraire » (CourEDH, de Souza Ribeiro c/France, 13 décembre 2012, n° 22689/07). La France, condamnée dans cette affaire, pourrait l’être à nouveau dans le cas des deux affaires précédentes où le Conseil d’État a manifestement manqué à tous ses devoirs.