
Depuis 2014, les documents officiels montrent que les autorités connaissaient le risque d’incendie dans le bâtiment A5 de l’usine Lubrizol. Pourtant, le préfet a laissé l’activité augmenter considérablement sans actualiser les précautions.
L’origine précise de l’incendie reste encore incertaine. "La vidéosurveillance et des témoins oculaires indiquent que le feu a tout d’abord été observé et signalé à l’extérieur du site de Lubrizol Rouen, ce qui suggère que l’origine du feu est extérieure à Lubrizol et que le feu s’est malheureusement propagé sur notre site", indiquait l’entreprise dans un communiqué daté du lundi 30 septembre. Les déclarations de Lubrizol, mais aussi les photos de l’incendie, indiquent que c’est notamment le bâtiment A5, où les produits sont mis en fûts et stockés, qui a été touché par le feu. (...)
Le risque d’incendie lié à la présence de palettes était clairement identifié dans le Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de l’usine, publié en 2014. (...)
C’est le seul passage où le document évoque les risques spécifiques au sein du bâtiment A5. Pourtant, la fiche Seveso, qui résume les risques identifiés sur le site, elle, s’y attarde : "L’incendie le plus important pouvant avoir lieu sur le site est un incendie du bâtiment où est effectuée la mise en fût des produits fabriqués. Des effets pour la santé pourraient alors être ressentis autour du bâtiment", y lit-on. La fiche ajoute que la probabilité d’un incendie touchant les installations est évaluée "au maximum à une fois tous les 10.000 ans". Mais selon plusieurs experts des risques technologiques interrogés par Reporterre, la sous-estimation de risques par les industriels est fréquente dans ces fiches Seveso. La possibilité d’un incendie de palettes, et du bâtiment A5 avait donc été identifiée. Pourtant, le système de sécurité incendie n’a pas empêché que deux hectares soient détruits par les flammes. Était-il donc suffisant ? Aurait-il dû être renforcé ?
L’usine est classée « Seveso seuil haut », le plus haut degré de dangerosité pour un établissement industriel, depuis 2009. Une étude de danger avait alors été réalisée, et finalisée en 2010. Mais depuis dix ans, aucune nouvelle étude de ce type n’a été réalisée. Pourtant, il semble que l’activité de l’usine ait augmenté ces dernières années de façon conséquente. (...)
Une enquête est en cours pour déterminer l’origine de l’incendie. "Une unité spéciale de la gendarmerie s’est rendue sur le site dès le lendemain de l’incendie", a indiqué le préfet. "Je rappelle que Normandie Logistique est également touché et qu’il faudra déterminer d’où est parti le feu."
Quels produits toxiques, outre la dioxine ? (...)
Autres questionnements, ceux concernant la toxicité des fumées dégagées par l’incendie. 5.253 tonnes de produits chimiques ont brûlé, nous apprenaient les documents mis en ligne par la préfecture mardi 1e octobre au soir. "Le point chaud de l’incendie est monté à 1.200°C, il est difficile de dire quelles réactions chimiques et quels molécules sont produites à cette température", estime Romuald Fontaine. "Des substances corrosives, irritantes, nocives, cancérogènes, narcotiques, très dangereuses pour l’environnement aquatique ont été dispersées sur les sols de l’usine, les voiries urbaines, la Seine et dans l’atmosphère", s’alarme de son côté l’association environnementale Robin des bois, promettant de réaliser rapidement une analyse fine de la liste des produits. L’association Générations Futures va dans le même sens, relevant la présence de "nombreux produits contenant des substances suspectées d’être toxiques pour la reproduction, cancérogènes ou toxiques pour certains organes ou par inhalation", ainsi que des "substances toxiques pour l’environnement", ajoutant qu’"il est à ce stade impossible de savoir ce que sont devenues ces substances, en mélange, lors de la combustion [et qu’] il n’est pas exclu qu’une partie d’entre elles aient pu se déverser dans l’environnement."
En particulier, il existe un risque important de contamination de l’environnement à la dioxine, un perturbateur endocrinien ultratoxique et cancérogène. (...)
La préfecture, assistée par l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), a fait le point mercredi 2 en fin d’après-midi sur les analyses effectuées et à venir. Concernant la dioxine, six prélèvements sur des lingettes ont été analysés, a-t-il été dit. Un prélèvement témoin a été fait en un lieu où le panache de fumée n’est pas passé. Les cinq autres prélèvements ont été effectués en des points exposés aux fumées. Parmi eux, deux prélèvements ont donné des taux de dioxine trois fois plus importants que celui du prélèvement témoin. "Les résultats actuels ne permettent pas d’écarter une pollution à la dioxine, mais indiquent qu’elle serait pour l’instant faible", selon le représentant de l’Ineris. La dioxine présente un danger principalement lorsqu’elle est ingérée, donc via l’alimentation. Les autorités estiment donc avoir pris les mesures adéquates de précaution en consignant les productions agricoles possiblement exposées aux suies et fumées. 900 exploitations agricoles sont concernées par ces restrictions, selon le préfet. Afin de savoir si ces productions agricoles ont été contaminées à la dioxine, "150 prélèvements ont été effectués, les résultats sont attendus pour la fin de semaine", a-t-il précisé. Les mesures devraient notamment permettre d’évaluer le risque à long terme.
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« Il est hallucinant d’entendre le préfet qualifier de “normale” la composition de ces fameuses suies, s’élève le porte-parole de l’association Générations futures, alors qu’elles contiennent des composants cancérogènes à long terme. Et puis la belle affaire que la qualité de l’air soit désormais “bonne” : pendant une quinzaine d’heures, des milliers de personnes ont respiré les fumées de l’épais panache à pleins poumons. » Il est même pertinent de parler de « marée noire atmosphérique », estime Jacky Bonnemains, président de l’association Robin des bois.
Lubrizol, qui produit des additifs pour lubrifiants et carburants, stocke notamment des hydrocarbures comme le benzène. Huit mille mètres carrés de toitures amiantées sont partis en fumée. En raison de la dangerosité potentielle de ces produits pour la santé des populations et l’environnement, le site est classé « Seveso seuil haut » (...)
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La publication de ces résultats ne calmera sans doute pas les Rouennais. « Elle ne suffira pas à mettre fin à la spirale de la suspicion, à l’inquiétude qui en découle, à la colère de la population », a résumé mercredi le président de la région Normandie, Hervé Morin. La veille au soir, la liste des centaines de produits chimiques entreposés dans l’usine Lubrizol, dont plus de 5 000 tonnes sont parties en fumée, avait été mise en ligne sur le site de la préfecture de Seine-Maritime. Mais sa publication pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. (...)
Que contiennent ces listes ? (...)