(...) On sort avec une console de jeu, un PC ou un Mac encore emballé (on trouve sans doute les deux clans Mac et PC, même chez les émeutiers ! ), une tablette tactile ou un mobile dernier cri.
Le cameraman amateur tente, sans succès, de saisir le visage de la jeune femme, camouflée elle aussi, et lui répète, scandalisé : « Que faites-vous ? ! Vous êtes fiers de ce que vous faites ? ! .. »
Alors la femme à la voix d’enfant apeuré lui rétorque sans se retourner cette réponse marquée au fer de l’évidence : « On récupère nos impôts… ». Fin de la séquence.
(...) Les responsables politiques d’outre-manche, semblables aux nôtres par bien des aspects, ont aussitôt condamné ces actes « criminels » intolérables avec la plus grande fermeté. La violence même de ces menaces répressives vous aura peut-être choqués tout en vous rappelant avec un brin de nostalgie le temps où notre ex-futur président (prions pour que futur-ex marche aussi ! ), au somment de sa verve électorale, promettait de « nettoyer la racaille des banlieues au Kärcher ».
Le vocabulaire employé pour décrire les émeutiers reste inlassablement le même et charrie son habituel lot de terreur. Pillards, criminels, voyous et bien sûr… Jeunes !
C’est drôle comme les gouvernements de tous pays et de toutes époques s’acharnent à employer le même vocabulaire dés que surviennent des troubles à l’ordre public.
Croyez-vous qu’aucun gouvernement ait jamais présenté un soulèvement populaire autrement qu’en l’accusant de criminalité ? (...)
Pour respecter la vérité économique, il suffit de corriger cette déclaration un peu abusive par : « On vient récupérer les impôts de nos parents ! ». A cela, rien à redire.
Anticipant l’abattoir qui les attend au bout du tunnel de la crise, voilà qu’une poignée d’ados refuse enfin de courber l’échine et descende là où on peut enfin les voir, à défaut de les entendre, dans les rues abusivement surveillées de l’eldorado européen, le Royaume-Uni-de-la-libre-entreprise.
Les « émeutiers » anglais ont ceci de différent de nos jeunes de banlieue qu’au lieu de vandaliser les quartiers déjà déclarés no man’s land, ils s’en prennent aux centre-villes, là où se trouvent les si formidables richesses fabriquées à l’autre bout du monde par d’autres gamins tout aussi malheureux. Pas si bêtes les anglais.(...)
Cette génération née de la multiplication des chaînes de propagande (pardon, des chaînes de télévision), cette génération gavée au biberon de publicités vantant le fantasme inaccessible de la consommation sacrée, cette génération qu’on ne cesse de dire « perdue » a peut-être enfin de quoi faire vaciller les bases de cette absurdité qu’on ose parfois appeler « le monde libre ». Libre de quoi, ça n’est pas précisé, un oubli sans doute.
Peu importe que les cols-blancs en place s’échinent encore à condamner les indignés de « casseurs », voleurs ou autres sobriquets si prompts à effrayer le trader, car il est désormais permis de rêver que cette génération soit la première depuis cinquante ans a avoir enfin éteint la télévision.(...)
N’en déplaise aux récupérateurs d’angoisse de gauche comme de droite, les ados (et parfois leurs parents avec eux) ont semble-t-il enfin compris que la source de leur vide, la cause de leur misère maquillée en bonheur n’est pas la crise, ni le terrorisme, ni l’Islam ni aucune autre menace venue d’ailleurs.
Si la colère gronde, c’est parce que le mal est bien plus profond et sournois. Comme le disent les économistes érudits dans leurs tentatives pour nous éclairer (comprenne qui pourra, certes), le mal est « systémique ».
Dans ce cas, nul besoin d’être champion du monde d’échec pour comprendre que si quelque chose doit changer, ça n’est pas la jeunesse, mais bien le système.
(...) Wikio