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delinquance, justice et autres questions de société
Loi de 1905, Ordonnance de 1945 : deux épouvantails politiques
Article mis en ligne le 13 février 2012

. (...) on invoque une notion nationale avec fierté, on exclut « ceux qui arrivent » car ils regimbent, imposent leurs minarets, leurs prières de rue, et l’on exige le respect à la lettre de textes dont on ignore pourtant le contenu. Comme le dit Dounia Bouzar, nous avons donc « deux France laïques » : celle de la « laïcité narrative », qui se raconte la laïcité de manière idéologique et militante, et celle de la « laïcité juridique », qui applique les lois à tous les citoyens de la même façon. Paradoxalement, de nombreux responsables politiques font partie de la première catégorie et défilent dans les médias en déclarant que « la religion ne doit pas rentrer dans un lieu public », ce qui ne correspond qu’à leur propre conviction personnelle mais ne se retrouve dans aucun petit paragraphe de loi (Le Monde, 19. 11. 2010).

La laïcité ne doit pas être confondue avec la « sécularisation », elle renvoie à un cadre juridique défini, qui dessine un espace de liberté plutôt qu’il n’interdit des pratiques. Enfin, lier comme on le fait tellement souvent « laïcité » à la fameuse loi de 1905 n’a guère de sens puisque c’est anachronique : si la séparation de l’Église et de l’État est actée en 1905 et reconnue par l’Église catholique en 1924, le terme de « laïcité » fait son apparition dans le dictionnaire Robert en 1971 !

Il est fort regrettable que la « laïcité narrative » présente des attraits politiques considérables par rapport à la « laïcité juridique ». En clair, c’est en parlant de grands principes mis en péril par une présence soi-disant étrangère qu’on peut espérer gagner les élections ou être invité dans les émissions de prime time.. (...)

Cette invocation routinière de « la loi de 1905 » cache au mieux une posture anti-cléricale qui fait de l’anti-religion un sacerdoce, au pire un discours islamophobe. Ceci apparaît clairement lorsqu’on contraste ces sempiternelles déclarations sur la loi de 1905 avec le discours public autour de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante. Dans le premier cas, on baigne dans l’incantation et la nostalgie d’une France qui n’existe plus depuis longtemps, en pointant les « territoires perdus de la laïcité » (Caroline Fourest, Le Monde, 27. 01. 2012), dans le deuxième on ne cesse de rappeler que la France de 1945 n’est pas du tout celle de 2002, ou 2005, 2007 ou 2012. On est alors tentés de demander : mais si la France a tellement changé depuis 1945, pourquoi serait-elle alors restée la même depuis 1905 ?
. (...)

Surtout, à court d’arguments, on s’abandonne à ce qu’Orwell appelait le « parler canard » (duckspeak), propre aux personnes déversant des chapelets d’expressions préfabriquées. Face à quelqu’un qui s’exprime de cette façon, on éprouve, dit Orwell dans La Politique et la langue anglaise, « le sentiment curieux de ne pas être en face d’un être humain vivant, mais d’une sorte de marionnette. … Son larynx émet les bruits appropriés mais son cerveau ne travaille pas comme il le ferait s’il choisissait ses mots lui-même ».

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