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Limites et frontières : là où finira notre civilisation
Article mis en ligne le 13 octobre 2015

On entend souvent dire qu’il est impossible d’avoir une croissance infinie dans un monde fini. Un monde fini ? Mais où se trouvent ces fameuses limites ? Et quelles sont-elles ? Pour bien comprendre, il est nécessaire de distinguer les limites – infranchissables – des frontières – franchissables, mais à nos risques et périls… Un texte publié en partenariat avec la revue belge Kairos.

(...) En réalité, notre civilisation industrielle ne va pas droit dans le mur. Elle est confrontée à deux autres types de limites, ou plus précisément, à des limites (limits) et à des frontières (boundaries). Les limites sont représentées par la fin de notre réservoir d’essence, et les frontières par les bords de la route.
Les limites : la fin du réservoir d’essence

Pour se maintenir, éviter les désordres financiers et les troubles sociaux, notre civilisation industrielle est obligée d’accélérer, de se complexifier, et de consommer de plus en plus d’énergie. Son expansion fulgurante est nourrie par une disponibilité exceptionnelle — mais bientôt révolue — en énergies fossiles très rentables d’un point de vue énergétique, couplée à une économie de croissance et d’endettement extrêmement instable.

Mais la croissance de notre civilisation industrielle, aujourd’hui contrainte par des limites géophysiques et économiques, a atteint une phase de rendements décroissants. La technologie, qui a longtemps servi à repousser ces limites thermodynamiques, est de moins en moins capable d’assurer cette accélération, et « verrouille » cette trajectoire non durable en empêchant l’innovation d’alternatives. L’ère des énergies fossiles abondantes et bon marché touche à sa fin (...)

Les frontières : la sortie de route

En plus des limites infranchissables qui empêchent physiquement tout système économique de croître à l’infini, on trouve des « frontières » invisibles, floues, et difficilement prévisibles. Ce sont des seuils au-delà desquels les systèmes dont nous dépendons se dérèglent, comme le climat, les écosystèmes ou les grands cycles biogéochimiques de la planète. Il est possible de les franchir, mais les conséquences n’en sont pas moins catastrophiques. Ils représentent les bords de la route, au-delà desquelles notre voiture quitterait une zone de stabilité et ferait face à des obstacles imprévisibles. Une vitesse trop élevée du véhicule ne permet plus de percevoir les détails de la route et augmente inévitablement les risques d’accident…

Les sciences de la complexité ont découvert récemment qu’au-delà de certains seuils, les systèmes complexes – dont les économies ou les écosystèmes font partie – basculent brusquement vers de nouveaux états d’équilibre impossibles à connaitre à l’avance, voire s’effondrent. (...)

La transgression des frontières annonce des ruptures de systèmes alimentaires, sociaux, commerciaux ou sanitaires. C’est-à-dire, concrètement, des déplacements massifs de population, des conflits armés, des épidémies et des famines. Dans ce monde devenu « non-linéaire », les événements imprévisibles de plus forte intensité seront la norme. Et il faut s’attendre à ce que régulièrement les solutions que l’on tentera d’appliquer perturbent encore davantage ces systèmes.

Nous sommes coincés

Chacune des limites (énergie, minéraux, etc.) et des frontières (climat, biodiversité, etc.) sont à elles seules capables de sérieusement déstabiliser la civilisation. Le problème, dans notre cas, est que nous nous heurtons simultanément à plusieurs limites et que nous avons déjà dépassé plusieurs frontières !

Le paradoxe qui caractérise notre époque — et probablement toutes les époques où une civilisation se heurtait à des limites et transgressait des frontières —, est que plus notre civilisation gagne en puissance, plus elle devient vulnérable. Le système politique, social et économique moderne globalisé grâce auquel plus de la moitié des humains vivent a sérieusement épuisé les ressources et perturbé les systèmes sur lesquels il reposait. Au point de dégrader dangereusement les conditions qui permettaient autrefois son expansion, qui garantissent aujourd’hui sa stabilité, et qui lui permettront de survivre.

Le résultat est clair, mais il fait mal. Pour nous préserver de trop grandes perturbations climatiques et écosystémiques (qui sont les seules à menacer l’espèce), il faut un arrêt du moteur. Le seul chemin à prendre pour se ménager un espace sans danger est donc de stopper nette la production et la consommation d’énergies fossiles, ce qui mène à un effondrement économique et probablement politique et social, c’est-à-dire à la fin de la civilisation thermo-industrielle. (...)

Grisés par la vitesse, nous quittons la piste balisée et dévalons, avec une visibilité quasi nulle, une pente abrupte truffée d’obstacles. Certains passagers se rendent compte que la voiture est très fragile, mais apparemment pas le conducteur, qui continue à appuyer sur le champignon !