
Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, les policiers multiplient les arrestations de manifestants accusés d’outrage au chef de l’État. Le délit d’offense au président de la République a pourtant été déclaré contraire à la Convention européenne des droits de l’homme en 2013.
Un septuagénaire puni pour avoir affiché une banderole « Macron, on t’emmerde », une femme placée en garde à vue et convoquée par la justice pour avoir qualifié sur Internet le président de la République d’« ordure », un autre manifestant également placé en garde à vue pour avoir fait un doigt d’honneur au chef de l’État…
Le mouvement contre la réforme des retraites a une nouvelle fois prouvé le durcissement de la répression à l’égard de l’expression du mécontentement de la population lors de mouvements sociaux. Comme l’avait déjà rapporté Mediapart au mois de décembre, ce phénomène n’est pas nouveau. (...)
Cela fait en effet plusieurs années que les forces de l’ordre interviennent lors de rassemblements pour invisibiliser certains messages ou intimider certain·es manifestant·es. Lors des manifestations, les confiscations de pancartes sont devenues monnaie courante, tandis que les policiers n’hésitent plus à imposer à certain·es habitant·es de retirer des banderoles affichées à leur balcon. (...)
« Ce n’est pas quelque chose de vraiment nouveau », expliquait à l’époque Nathalie Tehio, avocate et membre de la Ligue des droits de l’homme ainsi que de l’Observatoire parisien des libertés publiques. « C’est une invisibilisation des combats, s’inquiétait-elle. On fait en sorte qu’on ne les voie pas. C’est un contrôle de la contestation visant à la museler, ou la cacher. » (...)
De la garde à vue pour un « paillassou ».
Un militant de La France insoumise interpellé lundi 27 mars à Nice a quant à lui été libéré sans charges retenues contre lui au bout de sept heures de garde à vue. La raison de son interpellation ? Avoir apporté à une manifestation un « paillassou », un mannequin traditionnel du carnaval de Nice, à l’effigie d’Emmanuel Macron.
Un autre mannequin, lui, est toujours dans le viseur de la justice. Lundi 24 avril, à Grenoble, un pantin affichant en guise de visage celui d’Emmanuel Macron, a été attaché à un poteau et brûlé. Dès le lendemain, le parquet a ouvert une enquête confiée à la sécurité départementale . (...)
Dans chacune de ces affaires, la même infraction a été avancée par les forces de l’ordre : l’outrage au président de la République. Pourtant, l’offense au chef de État n’est pas un délit, ou en tout cas ne l’est plus, dans notre droit. Celui-ci a en effet longtemps été inscrit, à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Sous la Ve République, il avait été largement utilisé par le général de Gaulle, avant de tomber en désuétude.
Il faut effectivement attendre Nicolas Sarkozy pour voir réactiver ce délit, à l’occasion d’un incident à l’époque largement médiatisé. En août 2008, alors que le président visite le Salon de l’agriculture, un homme brandit une pancarte sur laquelle est inscrite la phrase « Casse-toi pov’con », utilisée par Nicolas Sarkozy lui-même quelques mois plus tôt. Le militant est interpellé, convoqué par le tribunal et condamné à une amende de 30 euros avec sursis.
La jurisprudence « Casse-toi pov’con ».
L’affaire est ensuite portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui, dans un arrêt rendu le 14 mars 2013, condamne la France pour violation de la liberté d’expression. Le délit d’offense est ainsi abrogé par une loi du 5 août 2013. Il est cependant remplacé par celui d’outrage envers une personne dépositaire de l’autorité publique, inscrit à l’article 433-5 du Code pénal, et sanctionné par une peine de six mois de prison et de 7 500 euros d’amende.
Les interpellations pour outrage envers Emmanuel Macron réalisées durant le mouvement des retraites sont-elles conformes à la jurisprudence de la CEDH ? Rien n’est moins sûr. Au mois de décembre dernier, la Cour de cassation a ainsi annulé la condamnation d’une personne ayant manifesté avec une affiche représentant Emmanuel Macron grimé en Adolf Hitler, avec, comme slogan : « Obéis, fais-toi vacciner ». (...)
« Ce qui est inquiétant, c’est que le pouvoir ne supporte plus la critique ni la satire. »
Me Claire Dujardin (...)
« Il y a un vrai dévoiement de la garde à vue que l’on utilise comme un levier du maintien de l’ordre, abonde Thibaut Spriet. On cherche tous les prétextes pour placer en garde à vue. » Or, « nous sommes dans un contexte où les institutions doivent, encore plus que d’habitude, permettre l’expression de la contestation, poursuit le magistrat. C’est justement aujourd’hui que l’État de droit doit fonctionner ».