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Revue Ballast
Les tribunaux d’arbitrage contre les peuples
Article mis en ligne le 7 septembre 2015

Le 10 juin 2015, le Parlement européen devait se prononcer sur la poursuite des négociations entre l’Union européenne et les États-Unis pour l’édification du Grand marché transatlantique (GMT, TAFTA ou encore TTIP). L’opacité générale qui entoure ces tractations ainsi que le reste de sens démocratique de certains députés sociaux-démocrates ont forcé le président du Parlement, Martin Schulz, à reporter le vote1. Ce raté dans la procédure d’acceptation tient en grande partie aux dissensions portant sur une clause particulière du texte : la création de tribunaux indépendants d’arbitrage. La plupart des traités de libre-échange signés dans le monde ont mené à la création de tels tribunaux. Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces expériences ?

(...) Des tribunaux d’arbitrage pour protéger les investisseurs

Ces tribunaux d’arbitrage privés, appelés également mécanismes de « règlement des différents investisseurs/États » (RDIE, ISDS en anglais), sont des instances créées lorsqu’une zone de libre-échange est mise en place ; son rôle est de régler les litiges éventuels entre un investisseur étranger et un État. L’un des principes qui prévaut lors de l’élaboration d’un traité de libre-échange est la suppression des barrières tarifaires (droits de douanes, taxes) et des barrières non tarifaires (lois ou mesures, même prises pour répondre à l’intérêt général, qui porteraient atteinte à la valeur d’un investissement). Les principales demandes faites aux États sont alors de traiter de façon égale sociétés étrangères et sociétés nationales (refus du « traitement national »), de ne pas mettre en place de mesures « déraisonnables, arbitraires et discriminatoires » (droit à la norme minimale de traitement)5 et d’assurer la sécurité des investissements et des investisseurs en interdisant les expropriations, directes ou indirectes. Ainsi, si une clause est rédigée en faveur de la création d’un RDIE, il sera alors donné aux investisseurs des nations ayant ratifié le traité la possibilité d’intenter un procès à l’un des États signataires, s’ils considèrent qu’une politique menée par ce dernier constitue une barrière tarifaire ou non tarifaire, et donc une atteinte à ses profits. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’était déjà chargée, au nom du principe de la libre concurrence non faussée, de condamner l’Union européenne à verser de lourds dédommagements au géant de l’agroalimentaire Monsanto, pour son refus d’importer des OGM6. Mais désormais, au sein du GMT, les multinationales pourraient elles-mêmes mener un État devant ces tribunaux d’arbitrage.

Tribunaux privés contre justice d’État de droit (...)

Ces tribunaux sont composés de trois avocats (et non de juges) faisant office d’arbitres, dont un est choisi par l’État attaqué, un par le plaignant et le troisième conjointement. Ces avocats d’affaire siègent à huis clos et l’observation amène à constater qu’ils proviennent tous d’un nombre restreint de grands cabinets d’avocats, nord-américains le plus souvent, agissant tantôt à l’accusation, tantôt comme arbitre, tantôt à la défense7. Lorsqu’ils sont à l’arbitrage, l’ordre de grandeur de leurs rémunérations varie de 300 à 500 euros par heure pour des affaires dépassant souvent les 500 heures de travail8. Dans ce qui est manifestement un écosystème fermé (une vingtaine de cabinets américains seulement), soumis à ses propres conflits d’intérêts, les biais systémiques peuvent remettre en cause l’impartialité et l’indépendance dont doivent théoriquement faire preuve ces tribunaux–au regard des enjeux politiques et des pénalités économiques extrêmement lourdes qu’ils peuvent prononcer. Alors que le droit en vigueur dans les pays signataires encadre de façon extrêmement stricte et rigoureuse les contestations judiciaires et garantit l’indépendance des juges ou des jurés, il devrait en être de même pour un dispositif permettant de contester des normes, règlements ou lois nationales qui relèvent de choix sociaux, économiques ou culturels, expressions du principe de souveraineté. Par ailleurs, les principes précédemment décrits, au nom desquels ont été rédigées les dispositions de cette clause d’arbitrage, sont énoncés de façon trop large et trop peu précise. Cela ouvre une voie royale aux avocats peu scrupuleux qui ont déjà proposé des interprétations audacieuses ayant fait plus d’une fois leur fortune par le passé, dans le cadre de l’ALENA par exemple9. (...)