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Mediapart
Les milliardaires font main basse sur l’économie du livre
#livres #milliardaires #capitalisme
Article mis en ligne le 10 avril 2023
dernière modification le 9 avril 2023

Vincent Bolloré, qui veut racheter Hachette à Lagardère, va céder Editis à Daniel Kretinsky, par ailleurs principal actionnaire de la Fnac, premier libraire de France. Preuve que l’économie du livre est toujours plus concentrée entre les mains de quelques-uns.

Les grandes manœuvres en cours dans l’édition n’en finissent plus de questionner l’avenir de l’économie du livre en France. Depuis que Vincent Bolloré s’est lancé dans le rachat à Arnaud Lagardère d’Hachette Livre (Larousse, Dunod, Calmann-Lévy, etc.), le leader de l’édition, qui pèse 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, beaucoup de petits éditeurs, auteurs et autres libraires se demandent à quelle sauce ils vont être mangés. (...)

Certes, la Commission européenne a contraint le milliardaire breton à revendre, pour des raisons concurrentielles évidentes, Editis (Plon, Robert Laffont, XO Éditions, etc.), numéro 2 du marché – 850 millions de chiffre d’affaires – qu’il possédait depuis 2018. Le pire a donc été évité : que Bolloré ne devienne l’empereur du livre en France en fusionnant Hachette et Editis – ces deux mastodontes concentrent plus de 50 % du top 100 des ventes de livres en France. (...)

Exit ce risque de fusion. Ce n’est pas pour autant que le problème de concentration économique dans le secteur est réglé. Après des semaines de tractations, c’est finalement le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, toujours à l’affût des bons coups, qui est entré en négociation exclusive avec Vincent Bolloré pour reprendre le numéro 2 du marché. In fine, on devrait donc assister à un jeu de chaises musicales entre milliardaires dans l’édition : Lagardère se retirant, Bolloré vendant le numéro 2 pour le numéro 1, et Kretinsky devenant le nouveau dauphin.

Kretinsky rachète tout... (...)

Daniel Kretinsky – dont l’un des plus influents collaborateurs, Denis Olivennes, présente déjà une émission littéraire sur le service public – va détenir des acteurs majeurs à tous les étages de la chaîne économique du livre : les maisons d’édition Editis, sa filiale de distribution et de diffusion commerciale, Interforum, un des leaders du secteur, et donc la Fnac. (...)

Les librairies indépendantes – qui sont plus de 3 000 en France – s’inquiètent. (...)

Surtout que si elles ne sont pas en crise, les librairies restent économiquement sur le fil du rasoir (...)

Concrètement, « ce qui poserait problème, ce serait qu’Editis puisse soit réserver à la Fnac l’exclusivité de ses productions, soit faire bénéficier la Fnac de conditions commerciales avantageuses au regard de celles qu’il imposerait aux concurrents », explique Julien Pillot, économiste à l’Inseec (Institut des hautes études économiques et commerciales), spécialiste des sujets relatifs à la concurrence. (...)

La Commission européenne a d’ores et déjà été saisie par un groupe d’acteurs économiques du livre, dont le Syndicat de la librairie française, via une procédure de tiers intéressés à la cession d’Editis. (...)

En somme, « les grands groupes de l’édition veulent tenir tous les bouts du marché. Mais plus cette tendance s’accentue, plus cela devient inquiétant », estime Frédéric Boyer, qui dirige les éditions P.O.L. En effet, ajoute-t-il, « on en vient à faire des livres qui répondent plus à des exigences de diffusion et de distribution – c’est-à-dire des livres qui puissent être largement diffusés et qui s’écoulent vite, ce qui minimise les stocks – qu’à des choix réellement éditoriaux », remarque Frédéric Boyer.

Cet éditeur a par exemple de plus en plus de mal à faire entendre que la « constitution d’une œuvre littéraire demande de la patience, et donc des politiques de stocks et de diffusion adaptées. Il faut par exemple pouvoir assumer de publier un auteur pendant 10 ans avant qu’un de ses livres rencontre davantage de lecteurs ».

Bref, dans le marché moderne de l’édition, il faut que les livres marchent, et vite. (...)

C’est pour cela, conclut Frédéric Boyer, « qu’il faut sans arrêt rappeler l’importance de la nécessité de privilégier un écosystème dans l’édition qui puisse respecter la diversité éditoriale. Sinon, on risque d’assister à un changement du paradigme sur le marché du livre en France ». (...)