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Les livres complotistes interrogent “le rôle de l’édition dans la société”
#complotisme #edition
Article mis en ligne le 25 juin 2023

Questionner le monde, certes. Mais rien de commun entre le doute cartésien — donc, raisonné, voire raisonnable — et la défiance radicalisée, ou le complotisme. Pour analyser plus profondément cette tendance que la Covid-19 n’a fait qu’aggraver, ActuaLitté a sollicité Marie Peltier, professeure d’Histoire à la Haute École Galilée de Bruxelles, qui décrypte le conspirationnisme contemporain depuis plusieurs années. (...)

Endoctrinement ou désinformation, ces récits s’inspirent d’anciennes rancunes et véhiculent des anxiétés contemporaines. L’enseignante a ainsi considéré ces narrations pour ce qu’elles représentent : une manière d’interpréter le monde et de le conceptualiser. De cette étude est né un intérêt particulier pour le conspirationnisme, qu’elle aborde sous un angle résolument politique. Selon elle, cette attitude de suspicion extrême, qu’elle qualifie de « logiciel idéologique », imprègne la société à divers niveaux.
Occupant désormais une place véritable dans le débat public, le conspirationnisme est alimenté par des idées, des imaginaires et des symboles, bénéficiant des réseaux sociaux en tant que catalyseurs. Un processus qui distord le réel et altère la pensée critique.
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ActuaLitté : Pouvez-vous donner une définition du complotisme ? 
Marie Peltier : Je vais vous donner ma définition, car tous les chercheurs n’ont pas la même. Le complotisme est un imaginaire collectif, un logiciel politique qui postule que derrière le récit perçu comme officiel, il y aurait soi-disant une logique de mise en scène au service d’intérêts cachés et de quelques personnes malveillantes. 
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Je n’emploie pas le terme de désinformation, j’essaie de l’éviter car il est sujet à beaucoup de manipulations. Les complotistes eux-mêmes prétendent lutter contre la désinformation. Dans ce cas de figure, ce serait plutôt entre le complotisme et la controverse scientifique.
La frontière n’est pas toujours facile à voir. Dans ce secteur, il y a des polémiques et des collusions d’intérêts qui sont réelles, mais on tombe dans le complotisme quand il y a une logique de mise en scène organisée. Toutefois, ce n’est pas toujours évident de faire la distinction. 
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il n’y a pas de profil type de la figure conspirationniste, ils sont très divers. Il faut quand même souligner qu’il y a souvent un ancrage à l’extrême droite qui, historiquement, utilisait le complotisme comme une arme. Ça ne veut pas dire que tous les complotistes sont dans des partis d’extrême droite, mais il y a une dimension idéologique qui s’ancre généralement dans cette tendance politique et dans certains réseaux qui soutiennent des régimes autoritaires. (...)

Le discours complotiste critique souvent les démocraties et pose régulièrement — mais pas toujours — un relativisme par rapport aux dictatures, si ce n’est plus. (...)

Ils présentent comme un « leurre » ce qu’ils appellent « le système ». Dans ce récit-là, la posture conspirationniste fréquente est de se qualifier de lanceur d’alerte et de dire « moi, j’ai accès aux vérités cachées et je vous les révèle ». (...)

maisons d’édition sont globalement dans une optique mercantile. Mais il y a aussi une optique idéologique. Je pense que, même dans les maisons d’édition, il y a des personnes qui adhèrent à cette idéologie, tout comme dans les grands médias. Les lignes ne sont plus très claires aujourd’hui. (...)

Il faut faire un travail d’information et de sensibilisation à ces questions. Au niveau des maisons d’édition et des librairies, il faudrait une ligne éditoriale beaucoup plus claire en les invitant à réfléchir sur ce qu’elles publient et vendent. Mais aussi, en posant ce qu’on appelle une « ligne rouge ».
Ces entreprises ont une approche légaliste en disant qu’elles n’enfreignent pas la loi car ces livres ne diffusent pas de discours négationnistes et d’appel à la haine. Mais tout ce qui est légal n’est pas souhaitable. C’est ça qu’elles doivent se dire. Cela pose la question du rôle de l’édition dans la société. 
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nous sommes à un stade où la population ne s’accorde plus sur la définition de ce qui est vrai et ce qui est faux, soit une progression assez avancée du complotisme dans nos sociétés. Il faut une perspective au long cours. 
Et, à mon avis, il faudrait surtout élargir la définition de l’incitation à la haine. Aujourd’hui, il faut aller très loin pour être accusé d’inciter à la haine. Par exemple, les discours homophobes sont très bien acceptés. Il faudrait renforcer ces lignes rouges. 
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