Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Observatoire des inégalités
« Les déserts médicaux se créent aussi là où on ne les attend pas ». Entretien avec Emmanuel Vigneron, géographe
Article mis en ligne le 19 août 2017

La désertification médicale est bien identifiée dans les zones rurales isolées. Mais l’accessibilité des soins n’est pas qu’une question de kilomètres. Comment enrayer le phénomène ?

La quasi-totalité de la population française vit à moins de quinze minutes d’un médecin généraliste, selon l’Insee. Et 95 % de la population peut accéder à un hôpital en moins de 45 minutes, rappelait le ministère de la Santé en 2011. Les "déserts médicaux" sont-ils un faux problème ?

Ce n’est pas un faux problème. Les déserts médicaux ne concernent plus seulement les habitants des communes isolées qui, sans que ce soit anormal, ont toujours dû faire quelques kilomètres pour trouver un médecin. Mais aujourd’hui des arrondissements, des cantons entiers, des départements, et même des régions, sont en proie à une désertification médicale très avancée. La Mayenne, la Lozère par exemple, avec beaucoup d’autres, sont des départements où il n’y a vraiment plus beaucoup de médecins. La région vraiment déshéritée est la région Centre-Val de Loire, sauf dans l’agglomération tourangelle. Elle est bordée par des régions qui ne sont pas beaucoup mieux loties comme la région Bourgogne-Franche-Comté ou l’Auvergne. La distance devient si excessive qu’elle entraîne un renoncement à des soins qui seraient pourtant nécessaires.

Ne faudrait-il pas distinguer les villes des campagnes ?

Les déserts médicaux peuvent aussi se créer là où on ne les attend pas. C’est notamment le cas dans les très grandes villes comme Paris. Parce que les jeunes médecins ont du mal financièrement à s’établir en ville, à trouver un cabinet de taille suffisante à des prix abordables, il se créé un désert médical, ce qui est tout à fait paradoxal par rapport à l’histoire médicale de la France. (...)

Après les zones rurales et les grandes villes, le troisième type de désert médical, ce sont les banlieues pauvres. Il y a 40 fois plus de spécialistes pour 10 000 habitants dans le 7e arrondissement de Paris qu’à La Courneuve où il n’y en a que 1,6 pour 10 000 habitants. On pourra dire qu’après tout, les habitants de La Courneuve n’ont qu’à prendre le RER pour venir dans le 7e. Mais il y a beaucoup de raisons qui les en empêchent, et d’abord le fait que, dans le 7e, l’essentiel des médecins pratiquent des dépassements d’honoraires qui en limitent l’accès aux plus modestes.

Deuxièmement, dans certaines villes de banlieue on trouve beaucoup de bénéficiaires de la CMU et certains médecins, on le sait bien, refusent de les prendre. Ensuite et surtout, les transports représentent un coût non négligeable. (...)

Tout cela fait que nos concitoyens ressentent la réalité des déserts médicaux (comme les dépassements d’honoraires, le reste à charge, etc). C’est d’ailleurs pour quoi les services d’urgence sont pleins en permanence dans les hôpitaux. On ne peut pas en vouloir à ceux qui s’y adressent. Le service public est fait pour ça. Il est un peu facile et méprisant de croire que les urgences constituent la solution de facilité. Que ceux qui disent cela aillent aux urgences et voient ce que c’est d’attendre longtemps, très longtemps souvent…

95 % de la population qui a accès à un hôpital en moins de 45 minutes, ça fait quand même 5 % pour lesquels ce n’est pas le cas, c’est-à-dire trois millions de Français. Dans le préambule de la Constitution de 1946, il est écrit que la Nation garantit à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. À tous. (...)