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Alternatives économiques
Les cadences éreintantes d’Amazon
Article mis en ligne le 29 novembre 2017

« Merci de vous rendre au bureau des managers. » Elodie Kahit, préparatrice de commandes chez Amazon, voit s’afficher cette injonction sur son boîtier qui lui indique où aller chercher puis scanner les produits dans l’entrepôt. Son supérieur hiérarchique désapprouve le temps trop important qu’elle passerait à ne pas travailler. « Il y a des périodes où, selon les managers, faut pas trop aller aux toilettes. Sinon on doit demander », dénonce celle qui est également déléguée CGT pour le site de Chalon-sur-Saône.

Sous couvert d’anonymat, un représentant d’Amazon remet en cause la version d’Elodie Kahit, et lui reproche de surfer sur la vague de l’émission Cash investigation du 26 septembre qui a mis en lumière les conditions de travail chez Lidl et Free.

Pourtant, ces accusations, déjà formulées publiquement par la déléguée syndicale, n’ont pas donné lieu à des poursuites pour diffamation. (...)

Quelle que soit la méthode employée, c’est surtout l’accélération des cadences qui est régulièrement pointée par syndicats et salariés de la filiale Amazon France logistique qui a réalisé sur la seule activité des entrepôts 297 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, le groupe ne communiquant pas sur ses résultats globaux. (...)

Des griefs que l’on retrouve aussi dans le livre d’immersion En Amazonie. Infiltré dans le « meilleur des mondes »3. Les managers d’Amazon sont, selon nos informations, formés quelques semaines au siège social européen, au Luxembourg, à la culture de la marque. Outre les rappels à l’ordre par les managers, Amazon envoie également des « courriers de sensibilisation » au domicile des salariés pour pointer leur manque de productivité et appeler à augmenter la cadence. (...)

Didier Morin, chercheur au département hygiène-sécurité-environnement de l’université de Bordeaux, n’est pas étonné que les salariés se plaignent autant de leurs conditions de travail. « La répétitivité de gestes mal réalisés, les postures contraignantes et mal adaptées dues au cadences imposées sont des facteurs de pénibilité qui favorisent des problèmes de santé. L’homme n’a pas le système musculo squelettique adapté pour tenir comme préparateur de commandes », indique-t-il. Tendinites et sciatiques sont ainsi fréquentes. (...)

Chez Amazon, les cadences imposées peuvent être différentes chaque jour, les salariés ne les connaissent pas avant d’arriver le matin. Mais en moyenne, les préparateurs de commandes savent qu’il leur faut collecter 150 colis par heure. Jean-Claude Delgènes, fondateur et dirigeant de Technologia, entreprise spécialisée dans la santé au travail, dont l’entreprise a été amenée à intervenir dans des centres de tri d’autres entreprises, pointe le stress induit : « On transforme les individus en automate, l’être humain a besoin de s’aménager des plages de liberté. »

Enora parle d’une « routine pénible ». « Les gens deviennent obsédés par leur prod, ils ne parlent plus que de ça », ajoute-elle. Les managers viennent ainsi trouver les salariés pour leur donner leur production de la veille et les encourager à faire plus. « Cela met une pression incroyable, j’ai pas dormi cette nuit », raconte Elodie Kahit.

Contrairement à Lidl, les salariés d’Amazon ne portent pas un casque à commande vocale mais un scanner fixé au poignet, qui s’allume en vert, quand les cadences sont respectées, en rouge ou en noir, quand ce n’est pas le cas ou quand le salarié s’est arrêté trop longtemps. « Le scanner favorise les troubles anxiogènes », explique Didier Morin. (...)

Dans cinq entrepôts d’Amazon, les accidents du travail avec arrêt sont par ailleurs en hausse. Leur nombre a quasiment doublé entre 2013 et 2015 (...)

Une politique de turnover délibérée ?

Ces accidents et troubles de santé causent un turnover très important des salariés. En 2015, 247 personnes ont quitté la filiale logistique d’Amazon (sur un effectif de 2248 salariés). 64 ont démissionné, 46 ont signé une rupture conventionnelle, 103 ont été licenciées « pour d’autres causes »... Le bilan social de l’entreprise qu’Alternatives économiques a pu consulter mentionne que 14 salariés ont été déclarés définitivement inaptes à leur emploi par le médecin du travail (19 en 2014) et 20 ont été reclassés dans l’entreprise à la suite d’une inaptitude (2 en 2014). (...)

Selon le bilan social , plus de la moitié des effectifs travaillent depuis moins de trois ans. Par ailleurs, le nombre d’intérimaires peut atteindre, selon les périodes, deux tiers des effectifs. Amazon a lancé le recrutement de 7500 intérimaires en France pour la période de Noël, gros pic d’activité pour ce mastodonte de la vente en ligne.

Elodie Kahit abonde : « Toutes les personnes avec qui je travaillais au début sont parties » L’entreprise favorise-t-elle une politique de turnover des salariés plutôt que d’amélioration des conditions de travail ? « Ce serait plutôt tout le contraire, affirme le géant américain qui a répondu à nos questions par mail. Notre activité repose sur les femmes et les hommes, c’est pourquoi nous investissons dans l’humain et dans leur expertise. C’est notamment ce que reflète l’augmentation de 33% de notre nombre de CDI en 2016 par rapport à 2015. »

L’entreprise a pourtant mis en place un programme baptisé « The Offer », qu’elle propose une fois par an à tous ceux qui souhaitent quitter Amazon pour réaliser « d’autres projets professionnels ». Les candidats au départ reçoivent entre 2000 et 8000 euros en fonction de leur ancienneté. « Il ne s’agit absolument pas d’une politique de turn-over », affirme la communication du groupe.

Ce n’est cependant pas l’avis des syndicats qui pensent que ce dispositif pourrait être supprimé. A la faveur notamment de la réforme du droit du travail, qui facilite les licenciements en instaurant la barémisation obligatoire des indemnités prud’homales. A moins de deux ans d’ancienneté, les salariés ne peuvent plus en effet prétendre qu’à un mois de salaire de dommages et intérêts si leur licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Or en moyenne, les salariés d’Amazon gagnent 2245 euros bruts par mois…