
Confrontés à l’afflux d’un nombre record de demandeurs d’asile et à l’effritement de la sympathie du public, les pays européens sont de plus en plus nombreux à utiliser les budgets d’aide étrangère pour nourrir et loger les nouveaux arrivants.
(...) La Suède, qui s’attend à recevoir jusqu’à 190 000 demandeurs d’asile cette année, envisage d’utiliser jusqu’à 60 pour cent de son budget d’aide étrangère en 2016 pour financer l’accueil des réfugiés.
« Cela aurait un énorme impact sur notre travail et sur nos organisations partenaires, sans aucun avertissement », a dit Gabi Björsson, secrétaire générale d’Africa Groups of Sweden, une organisation qui soutient des programmes d’atténuation de la pauvreté en Afrique méridionale.
Son organisation fait partie des quelque 20 groupes de la société civile à l’origine d’une lettre ouverte récemment adressée au gouvernement suédois et décrivant l’utilisation du budget national d’APD pour financer l’accueil des réfugiés comme « une solution à court terme qui pourrait compromettre le développement démocratique et la réduction de la pauvreté – et entraîner le déplacement forcé d’un nombre encore plus important de personnes ». (...)
Le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a signalé qu’il était « contre-productif » de réaffecter l’aide au développement au financement de l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile.
« On ne devrait pas prendre les ressources d’un secteur pour les donner à un autre », a dit son porte-parole, Stephane Dujarric. « L’utilisation des fonds d’aide au développement à d’autres fins pourrait, en ce moment crucial, perpétuer certains problèmes auxquels la communauté mondiale s’est engagée à répondre. » (...)
La crise des réfugiés européenne a un autre impact, moins évident, sur la façon dont les États membres gèrent leurs dépenses d’aide étrangère. Au cours de la dernière année, l’UE a créé deux fonds ayant l’objectif double de stimuler le développement et de juguler la migration illégale vers l’Europe.
Le fonds régional d’affectation spéciale de l’UE en réponse à la crise syrienne, mis en place en décembre 2014, et le fonds d’affectation spéciale d’urgence pour l’Afrique, officiellement créé la semaine dernière lors du sommet de La Valette sur la migration, ont été établis grâce à une généreuse dotation de départ de l’UE que les États membres ont promis d’égaler. Il est fort probable qu’ils puisent dans leur budget d’APD pour financer leur contribution, et ce, même si on ignore encore quelle part des fonds d’affectation spéciale sera consacrée au développement et quelle part sera allouée aux mesures de contrôle des migrants.
Le fonds d’affectation spéciale d’urgence pour l’Afrique a pour objectifs « de s’attaquer aux causes profondes d’instabilité, de déplacements forcés de populations et de migration illégale, en encourageant les opportunités économiques, l’égalité des chances, la sécurité et le développement ».
Des critiques ont déjà signalé que le fonds d’affectation spéciale pourrait, vu ses objectifs ambigus, avoir pour effet de détourner les flux d’aide étrangère des pays les plus pauvres vers les pays à moyen revenu, d’où viennent de nombreux migrants. (...)
Le fonds d’affectation spéciale mis en place en réponse à la crise syrienne est moins controversé. Il a pour objectif de soutenir les pays voisins de la Syrie, qui accueillent la vaste majorité des réfugiés. Il risque toutefois d’être bientôt utilisé pour verser quelque 3 milliards d’euros d’aide à la Turquie. (...)
Selon David Khoudour, chef de l’Unité Migration et Compétences de l’OCDE, le versement d’une aide au développement aux principaux pays de transit pour la migration vers l’Europe est devenu une façon d’« externaliser le contrôle des frontières ».
« Nous prétendons qu’il s’agit d’un fonds pour le développement, mais ce n’est pas réellement le cas », a-t-il dit à IRIN. (...)