
La tribune des généraux publiée dans Valeurs Actuelles le 21 avril prépare les troupes, l’opinion et les dirigeants à la possibilité d’un putsch. Elle sonde les éventuelles résistances, les accointances, les indifférences et les soumissions. Il faut toutes affaires cessantes les déshonorer en leur opposant un sursaut citoyen mais aussi en leur appliquant la loi. Toute indulgence à l’égard de ce type d’insubordination militaire est irresponsable.
(...) Sans verser dans une analyse lexicale en règles, force est de constater que tous les ingrédients de la rhétorique d’extrême droite sont à l’œuvre dans cet appel au Président et aux élu·e·s du peuple.
- Le thème de la décadence, nommée pudiquement délitement, a ses raisons et ses ennemis tout désignés dont le répertoire met dans le même sac des théories et des personnes : l’antiracisme, les théories décoloniales, les hordes de banlieue, des individus infiltrés et encagoulés.
- Le thème de l’insécurité, puisque « la haine prend le pas sur la fraternité », insécurité contre laquelle le pouvoir en place « utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires »
- Le thème de l’intolérable puisque « c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques ».
Face à ces délitements cumulés et exacerbés, ces généraux appellent à un sursaut et opposent à la pseudo guerre raciale, rien de moins qu’une guerre civile. Ils sont prêts à « soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation ». Ils menacent, car « si rien n’est entrepris », ils en appelent à « l’intervention de (leurs) camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national », phrase maurassienne s’il en est (...)
On aurait tort de croire à un canular ou que cette lettre est désuète parce qu’écrite par des généraux en retraite, qui de surcroît ne craignent plus rien pour leur carrière. C’est en resituant leur appel dans une durée plus longue que se révèle la trame de l’idéologie d’extrême droite en action. Mais il y a plus. Ces généraux, qui brandissent l’honneur comme on brandit une arme, savent que leur appel dans le contexte actuel est un hameçon auquel peuvent se rallier les partisans d’un état autoritaire, voire militaire. Les exemples dans maints autres pays attestent la possibilité de telles transitions politiques (...)
c’est donc sans étonnement que Marine Le Pen, candidate à la présidence de la République, leur apporte son soutien, validant de la sorte cette odieuse matrice idéologique rampante qui, à présent, se dévoile publiquement et entend passer à l’acte : « Je souscris à vos analyses et partage votre affliction. Comme vous, je crois qu’il est du devoir de tous les patriotes français, d’où qu’ils viennent, de se lever pour le redressement et même, disons-le, le salut du pays », écrit-elle dans Valeurs actuelles.
Face à cette médiatisation, la ministre des armées s’est contentée de rappeler que les militaires ne doivent pas se transformer en militants, pour demander ensuite des sanctions. Le chef de l’État, chef des armées, lui si peu avare en paroles, s’en tient à un irresponsable silence. À gauche de l’échiquier politique, seuls Benoit Hamon, Jean-Luc Mélenchon et la CGT sont montés au créneau. Il serait aussi de l’honneur d’autres militaires de prendre la plume à leur tour pour se désolidariser de ces factieux.
Le danger qu’ils voient partout a changé de camp : le véritable danger, c’est eux. Il faut toutes affaires cessantes les déshonorer en leur opposant un sursaut citoyen, mais également en leur appliquant la loi, car c’est sans nul doute la seule réponse qu’ils peuvent comprendre. Il faut donc veiller à ne surtout pas rentrer dans cette logique de guerre civile qu’ils appellent de leurs vœux (...)
Toute indulgence à l’égard de ce type d’insubordination militaire est irresponsable.
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Le “déshonneur des généraux français” après leur tribune dans “Valeurs Actuelles"
“Langage provocant”, “mensonge”… Le site britannique UnHerd n’est pas tendre à l’égard de la tribune publiée le 21 avril par Valeurs Actuelles. Ses signataires, des militaires, dénoncent l’inaction du gouvernement face à ce qu’ils nomment le “délitement” de la France.
La lettre ouverte publiée par des militaires dans le journal conservateur français Valeurs Actuelles est “scandaleuse” et “dangereuse”, juge le journaliste britannique et belge John Lichfield dans un article d’opinion. Pour le correspondant d’UnHerd, cette tribune – signée par plusieurs centaines de militaires, dont une vingtaine de généraux à la retraite inquiets du “délitement de [leur] patrie” – est à prendre avec des pincettes.
“Non seulement le langage utilisé est provocant, mais il est aussi tellement extrême que cela confine à l’absurde”, analyse-t-il, avant de pointer les liens qu’entretiennent certains signataires, comme l’ancien haut gradé Christian Piquemal, avec “des organisations racistes”. Il a notamment eu des contacts avec l’organisation allemande Pegida.
le message de la tribune est clair : “La lettre ouverte évoque un coup d’État militaire, à moins que le gouvernement ne se mette à agir contre ‘l’islamisme’ et les ‘hordes’ déchaînées des banlieues.”
Macron mobilisé
“La France fait effectivement face à des problèmes liés à l’extrémisme islamiste”, assure le journaliste, citant l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 et, plus récemment, le meurtre d’une policière de 49 ans à Rambouillet le 23 avril 2021.
Mais les 5 millions de musulmans qui vivent en France sont en grande majorité des travailleurs respectueux de la loi : ils veulent juste vivre leur vie. Utiliser le mot ‘hordes’ à leur encontre, comme c’est le cas dans la tribune, revient à mettre de l’huile sur le feu. Cela ne résout rien.” (...)