
Tour d’horizon, audio et parfois visuel, des chansons coloniales ou pseudo-exotiques (c’est-à-dire racistes), qui alimentèrent l’inconscient collectif d’une France qui fait aujourd’hui l’amnésique. Reviviscence en fanfare accablante !
Citation cruciale : « Pour justifier l’entreprise coloniale dans les termes de la “culture” occidentale, de l’humanisme dont on nous a tant rebattu les oreilles, il fallait oublier l’existence des autres. Le premier anthropophage est venu d’Europe, il a dévoré le colonisé. Il a dévoré ses langues : glottophage, donc. » Ainsi le sociolinguiste Louis-Jean Calvet présentait-il son pamphlet documenté, maintes fois réédité, Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie (Payot, 1974). (...)
Glotto (du grec γλῶττα : la langue) et phagie (de φαγεῖν : manger). La construction dit bien ce qu’elle veut dire : se goinfrer d’autrui, le déchiqueter pour n’en faire qu’une bouchée, après l’avoir assaisonné à sa façon, colonialiste donc prédatrice, en un dénigrement permanent. Domination chronique. Infériorisation à tous les étages. Comme l’écrit Youssef Seddik, dans L’Arrivant du soir : cet islam de lumière qui peine à devenir, « partout où l’Européen nous a regardés vivre et faire, partout, l’essentiel, en effet, lui est resté désespérément invisible ».
En guise de travaux pratiques d’une telle glottophagie coloniale et de son impact sur l’imaginaire, à coups de clichés itératifs, rien ne vaut la chanson. Populaire, lancinante et prégnante, la chanson, avec le caf-conc’ puis le phonographe, s’avère bourrage de crâne par excellence. Impossible de la déboulonner telle une statue statique sur son socle : la chanson trotte dans la tête d’âge en âge. Elle contamine l’esprit public, à la manière d’un virus ni vu ni connu. (...)
Albert Memmi, mort voilà quelques semaines dans sa 100e année, définissait le racisme comme « une valorisation généralisée et définitive de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges ». Cette dévalorisation, généralisée mais si particulière, connaît une amplification à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931, au bois de Vincennes et au musée des Colonies du palais de la Porte-Dorée (aujourd’hui musée de l’Histoire de l’immigration, après avoir été successivement musée de la France d’outre-mer, puis musée des Arts africains et océaniens et, enfin, musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie…). (...)
Parmi quelques voix isolées, Aragon sauva l’honneur, dans son poème Mars à Vincennes (du recueil Persécuté persécuteur) (...)
Parmi quelques voix isolées, Aragon sauva l’honneur, dans son poème Mars à Vincennes (du recueil Persécuté persécuteur) (...)
Aragon fustigeait « les bourreaux chamarrés », ces officiels chargés d’inaugurer l’abject, avec leurs discours emplis de Lumières pour masquer les ténèbres (« À la France colonisatrice et civilisatrice », était-il inscrit sur le fronton du palais de la Porte-Dorée).
Mais certains gosiers chargés de bercer l’âme populaire étaient autant, sinon davantage, des bourreaux. Ils furent la défense et l’illustration de ce que publierait Claude Lévi-Strauss en 1952, dans Race et histoire : « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. » (...)