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Le psychiatre Thierry Baubet sur le procès du 13-Novembre : « Certains ont enfin demandé de l’aide »
Article mis en ligne le 20 juin 2022

Le psychiatre Thierry Baubet, appelé à la barre comme témoin lors du procès du 13-Novembre, décrit le collectif créé lors de ces audiences et s’inquiète des victimes isolées qui les ont suivies à distance.

Si le procès n’est jamais une « thérapie », il est, dans le cas des attaques du 13-Novembre comme pour d’autres affaires, « un jalon très important dans le processus de reconstruction des victimes », estime le professeur Thierry Baubet, psychiatre à l’hôpital Avicenne* (Seine-Saint-Denis). Il a notamment permis à certains de demander enfin de l’aide, six ans après les attentats. « Il est fort possible qu’on voie d’autres victimes demander des soins après ce procès », juge celui qui avait témoigné à la barre en octobre dernier, cité par des parties civiles. « Nous savons tous que nous devons mourir, nous avons éventuellement vu des personnes mourir, mais nous ne saurons jamais ce que c’est que d’être mort. Le traumatisme, c’est faire un pas au-delà. Comme si la mort était en soi », avait-il notamment déclaré à la barre. (...)

À quelques jours de la fin du procès, les victimes et leurs proches sont à la fois soulagés et inquiets. Pourquoi ?

Cette ambivalence est complètement compréhensible. Mais elle se joue très différemment selon les personnes. Même s’ils étaient tous ensemble, ce soir-là, personne n’a vécu exactement la même chose, personne n’a été traumatisé de la même manière. Certains ont perdu des proches, ce qui change un peu tout, et d’autres pas ; certains ont développé des troubles post-traumatiques, certains ont mis en place des soins, et d’autres pas du tout. Il y a une multitude de situations, autant que de victimes. (...)

Pourquoi certains craignent-ils la fin des audiences ?

Ce qui est très fort avec ce procès justement, c’est qu’il a accordé une place importante et inhabituelle aux victimes. Cela a été perçu très positivement. Il y avait des dispositifs de soin et de soutien mis en place au tribunal, une ligne d’écoute pour les parties civiles qui écoutaient la webradio. Pendant cette longue période s’est constitué ou s’est reconstitué un groupe assez solidaire des victimes. Elles se sont senties peut-être encore plus appartenir à ce groupe, et avoir un soutien de celui-ci. Ce n’est pas vrai pour toutes. C’est vrai pour celles qui s’expriment beaucoup. Ça leur a fait beaucoup de bien, et quand quelque chose qui fait du bien s’arrête, c’est difficile.

Comment reprendre le cours de sa vie ?

Pour tous, la question qui se pose est celle de retrouver un quotidien ordinaire. Quand on a vécu des événements aussi extraordinaires, qu’on a connu une telle mobilisation sociale, une telle mobilisation de la justice, comment revient-on à une vie ordinaire ? Que va-t-elle être ? Est-ce que les attentats seront oubliés ? C’est l’une des craintes des victimes. Est-ce que tout doit se remettre à fonctionner comme avant le 13 novembre 2015 ? Ce n’est pas possible. (...)

Quels sont les risques ?

Il va falloir être très vigilant car c’est dans ces moments de transition que les victimes risquent d’avoir le plus de besoins. Des demandes de soin vont apparaître. Les associations vont être très utiles dans cette période pour garder un lien et accompagner les personnes à se projeter autrement dans l’avenir. Il y a aussi un besoin de transformer les groupes de victimes et d’associations en autre chose, pour leur permettre de garder un rôle actif. Certaines associations ont déjà commencé, en menant par exemple un travail de prévention. (...)

Le procès est-il une étape nécessaire dans la reconstruction ?

Le procès fait partie du processus de reconstruction mais ce n’est pas une thérapie. Ça ne soulage pas la douleur des deuils. Parfois, on entend dire : « Tant qu’il n’y a pas de procès, je ne peux pas commencer mon deuil. » Il faut éviter de dire ce genre de choses, car ça ne fonctionne pas comme ça. Un procès, ce n’est pas magique. Mais c’est un jalon très important dans le processus de reconstruction des victimes (...)

Ce procès leur a permis d’être reconnues en tant que victimes. Faut-il maintenant se détacher de ce statut ?

On n’est jamais que ça, on n’est jamais qu’une victime. Mais il y a un risque, toujours, avec les situations de violence : c’est que l’identité de victime, qui est une partie seulement de l’identité, écrase toutes les autres. Ça, c’est effectivement dangereux. Certaines personnes peuvent être prisonnières de ce circuit (...)

Les audiences ont permis de reconstruire la chronologie des faits, mais peu de donner une explication, faut-il vivre avec cette inconnue ?
Est-ce que c’est la place de la justice de donner la réponse à cette question ? Je ne suis pas sûr. (...)

Que sait-on des victimes isolées, celles qui ne sont pas suivies ?

On présume qu’elles sont très nombreuses même si on n’a pas de données précises là-dessus. (...)

Doit-on accepter de vivre avec le stress post-traumatique ou peut-on s’en débarrasser ?

Je ferai le parallèle avec un deuil. Un deuil, on ne s’en débarrasse pas. Quand on a perdu quelqu’un, on l’a perdu, on vit toute sa vie avec cette perte, mais ça ne fait pas pour autant souffrir tout le temps. Le trouble post-traumatique, c’est pareil. (...)

Quel rôle joue la société dans cette reconstruction et pourquoi lutter contre l’oubli ?
La reconnaissance est essentielle. Beaucoup d’études montrent que le soutien public pour des événements de cette nature est un événement favorable pour l’évolution individuelle des personnes impliquées. C’est un point essentiel qui fait partie du soin et de l’attention que la société doit porter à ces personnes. (...)