
Le monde ouvrier est un continent oublié et quasiment disparu. Les frontières de classes ont été remplacées au profit de nouvelles catégorisations où le terme de peuple remplace les groupes sociaux déterminés. Le mythe prométhéen de basculement du monde s’est lui aussi estompé. Remontant la pente de cet oubli, deux ouvrages synthétiques permettent cependant de retrouver la trace de ces catégories dont le souvenir s’efface. Le premier se penche sur la création du rêve ouvrier, alors que le second analyse les conséquences concrètes de son effacement pour le monde du travail.
L’âge des solidarités ouvrières
L’ouvrage de Nicolas Delalande est une synthèse. Il propose une nouvelle lecture des formes et des modalités d’action du monde ouvrier, principalement au XIXe siècle et au début du XXe siècle. En quelques chapitres, il revient sur la lente construction de ce que l’on a appelé, pendant longtemps, l’internationalisme ouvrier, quand les organisations de gauche pensaient la question internationale et l’analysaient sous l’angle des questions financières. Nicolas Delalande décompose cette construction en deux grandes parties. La première est centrée autour de la naissance et du développement de l’Association internationale des travailleurs (AIT) des années 1862 à 1872 et la deuxième examine la création d’organisations nationales plus stables après cette date. (...)
La solidarité internationale devient alors un moyen d’aider à l’émancipation. Cependant, elle se heurte à la réalité géopolitique de la Première Guerre mondiale. Les organisations se réclamant du monde ouvrier reprennent néanmoins le flambeau après la guerre.
Entre fraternité et xénophobie
Cette question est sous-jacente dans l’ouvrage de Maria Grazia Meriggi. Il constitue en quelque sorte une suite au livre de Nicolas Delalande, et une étude de cas. Maria Grazia Meriggi se penche sur le comportement des organisations ouvrières en France avant le Front Populaire. Les quatre chapitres qui composent l’ouvrage sont extraits de ses travaux publiés en italien sur l’internationalisme ouvrier en France. Elle étudie les premières grèves dans l’après Première Guerre mondiale, auxquelles participent des travailleurs étrangers. Elle constate qu’en dépit de la scission syndicale de 1921/1922, l’année suivante, les travailleurs immigrés juifs et italiens des deux centrales participent aux grèves, et que malgré des ressources plutôt maigres, les organisations syndicales aident les ouvriers. Très vite, par habitude comme par tradition « grévicultutrice », seule la CGTU dirigée par le PCF appelle et organise les grèves des travailleurs immigrés. (...)