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Le langage en esclavage
Victor Klemperer. Repenser le langage totalitaire Laurence Aubry Béatrice Turpin Éditeur : CNRS
Article mis en ligne le 7 mai 2013
dernière modification le 3 mai 2013

Une étude diverse et approfondie des écrits de Victor Klemperer, témoin et spécialiste de l’aliénation du langage par le IIIe Reich.

Disparu en 1960, Victor Klemperer laisse à notre temps une expérience tout à fait unique et précieuse, puisqu’il fut le contemplateur inquiet et scrupuleux des manipulations de langage opérées par le Troisième Reich de 1933 à 1944. Ce philologue d’ascendance juive, converti au protestantisme en 1912, vécut lui-même les persécutions à l’égard des populations juives sur le territoire allemand. Il n’abandonna pourtant jamais ce qu’il considérait être l’œuvre de sa vie, le témoignage le plus important qu’il put encore diffuser, puis transmettre. Celui-ci prendra la forme d’un ouvrage majeur, Lingua Tertii Imperii, clé de compréhension des transformations du langage sous la coupe national-socialiste.

Son héritage est donc tout à fait comparable à celui laissé par Hannah Arendt quant à la compréhension des régimes totalitaires ; en réalité complémentaire, puisque c’est l’originalité et l’importance de cette perspective linguistique qui constitue la valeur essentielle de son œuvre. Cette même approche fait de Victor Klemperer, avec Jean-Pierre Faye, l’un des deux auteurs de référence sur la question des langages totalitaires. (...)

Cette prise en main du langage, réduit au banal statut d’outil politique, vient également servir une cause fondamentale pour l’appareil totalitaire, la violence et son apologie. Le terme d’apologie n’est d’ailleurs pas le plus approprié, tant la volonté manifeste est plutôt de normaliser la violence, de la faire entrer si profondément dans les mœurs qu’elle ne constitue plus une mesure de dernier recours ou d’exception. (...)


Cette technique de la création d’un ennemi total, permise par les manipulations du langage, constitue un préliminaire à une véritable négation de l’individu
. C’est désormais un tout collectif qui s’engage à éliminer un tout ennemi, et c’est sur ce postulat que repose la justification totalitaire des meurtres de masse. (...)

Cet ouvrage constitue une lecture tout à fait intéressante et complète sur la question. Le XXe siècle est traversé par un bouleversement du langage, et s’offrent ici des clés de compréhension quant à leur portée totalitaire ou non. Il est d’ailleurs tout à fait intéressant de constater que la technique de l’amalgame, détaillée dans l’article de Roselyne Koren, ne s’est évidemment pas arrêtée à l’année 1945 ou même 1991, comme en témoignent les utilisations récurrentes et actuelles des qualificatifs de “facho”, “collabos” ou bien encore “bolchos” dans les anathèmes lancés d’un camp à l’autre. Ainsi, à l’heure de la surabondance des fameux éléments de langage dans le débat public, et au moment où la politique en tant que symbolique semble de nouveau perdre de son sens, voilà une lecture à-propos. (...)