Effondrement dans les Alpes, lacs asséchés, vendanges aléatoires… Cet été, les signes du changement climatique se sont répétés et multipliés en Auvergne-Rhône-Alpes, au point que sa conscience gagne la population. Malgré cela, explique notre chroniqueuse, l’exécutif régional ne change pas d’orientation.
On entend beaucoup parler, en cette rentrée, de prise de conscience climatique. Que la démission de Nicolas Hulot a provoqué un sursaut, que le rapport du Giec ouvre les yeux… Ce n’est sans doute pas faux. Mais de manière plus perceptible, sorti des réseaux militants et des cercles informés, ce qui ébranle davantage que les petits tours des ministères ou les arcanes bien mystérieux des organismes internationaux, c’est la confrontation au réel. Le fait d’appréhender par ses sens, de voir et toucher ce dont le cerveau a l’intuition sans en être percuté. C’est toute la différence entre être informé et être affecté.
C’est aussi la différence entre ce qui se passe loin, dans la géographie et dans le temps, que ce soit les inondations au Pakistan, la fonte de la banquise ou les échéances de fin de siècle, et ce qui vous atterrit directement dans les mains ou sur le dos là, tout près, dans l’intime et le présent. (...)
Dans ce registre, ce qui a probablement provoqué le plus d’émoi dans la région Auvergne-Rhône-Alpes en ce début d’automne est sans doute l’assèchement spectaculaire du lac d’Annecy.(...)
Il y a quelques jours, alors que je voyais défiler ces alertes et en mesurais l’émotion à travers le nombre d’articles dans la presse, les conversations de café, les « j’aime » des réseaux sociaux ou les messages d’amis, se tenaient les commissions thématiques dans la région présidée par Laurent Wauquiez. Et même-là, les choses commencent à bouger. Oh ! tout doux, de manière mal assurée, mais même notre exemplaire le plus climatosceptique, Gilles Chabert, de la commission Montagne, commence à trouver des circonvolutions pour reconnaître que « là, quand même, oui, il y a… peut-être, euh… un petit problème… un peu ». C’est que la neige, moteur qu’on croyait éternel des stations de ski, commence à se faire rare, et les scientifiques, météorologues et guides de haute montagne à sonner l’alerte, se font de plus en plus nombreux. Même en commission Agriculture, le comité régional des viticulteurs semble embêté. (...)
Côté arboriculteurs, ce n’est pas mieux : les épisodes de gel ravagent, tous les cinq ans, jusqu’à la moitié des récoltes. Pour la grêle, la calamité peut monter à 80 % de pertes. Bref, ça devient concret. (...)
Arrivés à ce point de ma chronique, j’adorerais vous dire que, du coup, ça a provoqué des discussions enflammées sur la manière de faire face en tant que collectivité, d’aider les agriculteurs à diversifier leurs cultures et à privilégier les moins gourmandes en eau, les plus résistantes et adaptées à un climat de plus en plus mouvant. J’aimerais tant écrire que les yeux se sont grand ouverts autour de la table et que l’exécutif a soudain réalisé que financer des canons à neige précipitait les stations dans de futurs déficits abyssaux. Que la dernière salve de subventions a été immédiatement transférée vers les programmes de tourisme estival, et la politique du tout-ski dans nos montagnes remisée. J’aurais naturellement voulu vous dire que le projet de nouvelle autoroute A45 entre Lyon et Saint-Étienne a été abandonnée, le Lyon-Turin remplacé au profit d’un report immédiat des camions sur les rails de la ligne existante, les trains de l’étoile de Veynes assurés de rouler pour les décennies qui viennent, un grand programme de rénovation thermique lancé, que les crédits affectés au développement de la résilience ont été doublés, et les subventions de santé environnement rétablies.
La croyance dans la technique semble inépuisable
Las. L’effet d’inertie du système et les blocages idéologiques sont plus puissants que les montagnes qui s’effondrent et que les lacs qui s’assèchent, plus puissants que le rapport du Giec et que les milliers de personnes réunies dans les marches pour le climat ou à Alternatiba. Pour l’instant.
La croyance dans la technique semble inépuisable. (...)
au lieu de s’attaquer aux causes du dérèglement climatique, au lieu de trouver des stratégies d’adaptation, on effleure la surface en agissant à la marge sur les premiers effets, au risque parfois d’aggraver le mal. (...)
Dans ma vallée, le matin au café, au marché, à la sortie du lycée ou chez les commerçants, avec les artisans, les montagnards, les paysans, les anciens, les chasseurs, les parents tout simplement, on sent monter une inquiétude. Ici, la plupart des gens ne lisent pas les tribunes militantes ou les appels d’intellectuels, ouvrent peu les journaux nationaux. Mais une vire qui s’éboule, une rivière à sec, un changement dans la population de sangliers ou des cervidés qui viennent s’alimenter dans les vergers, le vent qui souffle comme jamais, l’invasion cauchemardesque des pyrales, la date des vendanges qui n’en finit plus de changer… tout ça parle. Et quand un autocariste m’explique que la région a envoyé balader ses arguments de véhicules moins polluants pour le transport scolaire en zone rurale pour privilégier le « mieux-disant » en matière de coût, ça choque. Il n’est pas complètement impossible qu’on soit en train d’arriver à un point de bascule : ceux qui pensent encore que le climat est un truc d’écolos bobos urbains feraient bien d’y songer.