
Après avoir, au nom de la Science, utilisé tous les arguments opposables à la voie thérapeutique préventive préconisée par l’IHU de Marseille, nos dirigeants - et derrière eux beaucoup de journalistes - semblent prêts à accueillir un médicament américain : le Remdesivir, censé traiter les malades aux stades graves. Il s’agit pourtant d’une opération industrielle et financière aisément repérable. sivir, l’industrie pharmaceutique et la crise du Covid
« En temps de crise, les dirigeants des grands groupes industriels redoublent d’efforts sur plusieurs fronts à la fois : ils cherchent à séduire les consommateurs, à augmenter la productivité de leurs salariés, à neutraliser les contestataires, à trouver de nouveaux produits pour conquérir les marchés. À ce jeu, l’industrie pharmaceutique fait preuve d’une rare efficacité, car elle conserve sa puissance malgré la tourmente économique, les scandales répétés, les pertes de brevets, une recherche scientifique qui tâtonne et une opinion publique particulièrement défavorable ».
Quentin Ravelli, La stratégie de la bactérie, Paris, Seuil, 2015.
A l’image de la majorité des élites intellectuelles françaises, la plupart des journalistes sont décidément d’une grande naïveté. Après avoir déployé leur talent dans un impressionnant concert unanimiste pour lister tous les arguments opposables au nom de la Science à la voie thérapeutique préventive préconisée en France par l’équipe de l’IHU de Marseille, voilà que beaucoup semblent prêts à accueillir comme avec soulagement un médicament américain : le Remdesivir, sensé traiter les malades parvenus à un stade grave. Alors, oui, faisons un peu de science. Médicale d’abord, socio-économique et politique après.
Pour qui se pique de connaître la science médicale
Une étude américaine portant sur 1 063 patients a débuté fin février sous l’égide du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID). Ses résultats sont en cours d’analyse. Pour l’heure, il existe deux études publiées dans des revues scientifiques testant les effets thérapeutiques du Remdesivir.
La première a été publiée le 10 avril 2020 dans le New England Journal of Medicine. Il s’agit d’une revue américaine, qui compte parmi les plus prestigieuses du monde. L’article publié s’intitule « Compassionate Use of Remdesivir for Patients with Severe Covid-19 ». Il est signé par 57 auteurs de neuf pays différents (dont la France), tous financés par le laboratoire pharmaceutique Gilead Sciences. L’étude porte un très faible nombre de malades (n=53) recrutés principalement aux Etats-Unis, en Italie et au Japon (il n’y a que 4 français), ayant reçu le médicament pendant 10 jours. Elle n’est pas randomisée et elle ne comporte pas de cohortes comparatives traitées avec un placébo ou un traitement symptomatique. Certains malades sont ventilés, d’autres pas. Les services de réanimation ne fonctionnement pas nécessairement de la même manière dans les neuf pays. Il n’y a pas de critère de sortie (end point) de l’étude, ce qui ouvre la porte à des arrangements potentiels avec les conclusions de l’étude (25 malades sont sortis de l’hôpital, 7 sont morts, quid du devenir des 21 autres ?). La charge virale n’a pas été mesurée. 7 patients sont morts (13%). 36 ont vu leur situation respiratoire s’améliorer mais 32 ont eu des effets secondaires (troubles digestifs, insuffisance rénale, hypotension). La conclusion de l’article, selon laquelle une « amélioration clinique » (clinical improvement) s’observerait chez la majorité des malades, s’apparente ainsi à une publicité mensongère. Il est même assez incroyable qu’une étude aussi mauvaise méthodologiquement ait pu être publiée dans une si prestigieuse revue.
La deuxième étude intitulée « Remdesivir in adults with severe COVID-19 : a randomised, double-blind, placebo-controlled, multicentre trial » a été publiée le 29 avril 2020 dans la non moins prestigieuse revue médicale britannique The Lancet. Elle a été réalisée par une équipe de médecins de dix hôpitaux chinois et porte sur 237 patients. Il s’agit cette fois-ci d’une étude randomisée, en double aveugle et avec groupe de contrôle sous placébo. Le protocole est exactement le même que celui de l’étude précédente (Gilead a fourni gratuitement le Remdesivir) et il s’agit également de patients sévères. Les end points sont expliqués. L’administration du Remdesivir a dû être arrêtée prématurément en raison de forts effets indésirables chez 18 patients (12%). La charge virale (entre autres contrôles) a été mesurée et n’a pas baissé. La nature de ces effets indésirables n’est pas différente entre les deux groupes de patients (des troubles digestifs et surtout des problèmes sanguins). L’étude conclut qu’il n’y a pas de différence significative dans l’évolution clinique des deux groupes de patients (Remdesivir versus placébo). L’administration du Remdesivir à des patients hospitalisés pour le Covid n’a pas d’effet positif clinique ou viral significatif, et au final pas d’effet sur la mortalité. En clair, pour ce qui est de ce test, le Remdesivir ne sert à rien.
Voilà pour la science médicale, passons maintenant aux sciences sociales.
Big pharma is treating us (...)
l’industrie pharmaceutique est devenue au cours des 30 dernières années l’un des plus grands secteurs industriels du monde et peut-être le plus rentable de tous. Les grands groupes pharmaceutiques qui se sont constitués au fil des dernières décennies rivalisent désormais avec l’industrie pétrolière, les groupes bancaires, les GAFA, l’industrie du luxe, l’industrie automobile et les cigarettiers. Ils font partie de ces multinationales qui dominent le monde et y imposent leurs intérêts. Ils développent les mêmes stratégies de maximisation des profits que la plupart de ces multinationales (...)
Le dossier « Pharma Papers » du site d’investigation Basta ! est éloquent. Le marché mondial du médicament est dominé principalement par quatre pays : les Etats-Unis (Pfizer, Merck, Eli Lilly, AbbVie, Amgen, Gilead, Johnson & Johnson), la Suisse (Novartis, Roche), la France (Sanofi) et la Grande-Bretagne (GlaxoSmithKline, AstraZeneca). Les patrons de ces firmes sont parmi les mieux payés du monde (10 millions d’euros pour le patron de Sanofi en 2017). Cotées en bourse, elles participent fortement aux évolutions des marchés financiers et les dividendes qu’elles reversent à leurs actionnaires sont parmi les plus importants du monde (près de 1 000 milliards de dollars de bénéfices ces dix dernières années). Ils sont donc devenus un acteur central du nouveau capitalisme financier dominant la planète.
Ces très grands groupes pharmaceutiques dominent non seulement le marché mondial des médicaments, mais ils influencent aussi de plus en plus la science médicale. (...)
C’est dans cette mouvance politico-industrielle que s’est fixée la fameuse Evidence Based Medecine (« médecine fondée sur des preuves ») et ses désormais célèbres méthodes statistiques de randomisation. L’idée fondamentale est de substituer le calcul statistique à l’expérience clinique, la démonstration mathématique à la pratique médicale. Un nombre croissant de médecins-chercheurs multiplient ainsi les publications sur les maladies et les médicaments, lors même qu’ils n’ont plus aucune pratique de médecins. Les laboratoires leur payent des études testant leurs médicaments, ils en déterminent les protocoles et vont jusqu’à payer plusieurs milliers d’euros par patients inclus dans l’étude. Ils organisent également des boards et autres « réunions stratégiques » dans lesquels les médecins sont associés à la détermination des projets des laboratoires et pour lesquels les mêmes médecins sont fréquemment payés 1 500 euros la journée. Les laboratoires financent également les voyages et tous les frais d’hôtellerie et de restauration (plusieurs milliers d’euros à chaque fois) de ces médecins-chercheurs pour qu’ils aillent présenter leurs résultats dans des colloques internationaux dont l’organisation globale est elle-même largement financée par les laboratoires. Dans certains cas, les groupes industriels vont jusqu’à réaliser eux-mêmes les études dans leurs laboratoires et proposer ensuite à des médecins universitaires plus ou moins renommés de les signer de leurs noms. Cela s’appelle le ghostwriting (nègre littéraire en Français) et cela a donné lieu à de nombreuses fraudes et pratiques dangereuses pour la santé publique au cours des trente dernières années.
Il y a quelques années, le collectif « regards citoyens » (créé en 2009) avait passé au crible le site Transparence Santé créé après le scandale du Mediator, ils avaient exhumé la bagatelle de 2,5 millions de cadeaux faits entre janvier 2012 et juin 2014 par les laboratoires, essentiellement à des médecins, pour un montant total d’environ 245 millions d’euros. Soyons clair(s) : il s’agit d’un système organisé de trafic d’influence, pour ne pas employer le gros mot de corruption. (...)