
Hélène Risser a grandi dans les années 70 à Erstein, hôpital psychiatrique de l’Est de la France, où ses deux parents étaient psychiatres. Aujourd’hui journaliste, elle est retournée sur les traces de son enfance et témoigne dans un documentaire « Le Monde Normal », diffusé samedi 15 février à 21 heures sur Public Sénat, de l’évolution du monde de la psychiatrie.
« J’ai souhaité intituler mon documentaire, "Un monde normal", car pour moi qui ai grandi dans le milieu de la psychiatrie dans les années 70, c’était un monde normal ». Lorsque l’on découvre l’enfance d’Hélène Risser à l’écran, on ne peut que s’étonner d’imaginer cette petite fille à l’époque jouer et déambuler dans les grandes allées de l’hôpital psychiatrique de Erstein. Il faut dire que si tout semblait aussi « normal », c’est que l’institution était un modèle d’expérimentation de la psychiatrie « ouverte ». Les médecins psychiatres souhaitaient alors rompre avec la tradition asilaire - l’enfermement des malades - qui, après la Seconde Guerre mondiale, faisait écho aux camps de concentration.
Hélène et son petit frère ont alors pu grandir auprès d’une nounou, ancienne patiente de l’hôpital « non réclamée par ses parents à 17 ans » devenue petite main indispensable de l’institution (...)
Des dérives de la psychiatrie « trop » ouverte à « trop » fermée (...)
Si le père d’Hélène Risser n’a pas souhaité témoigner de son expérience dans le documentaire, la réalisatrice a tout de même pu recueillir la parole d’un collègue de son père, psychiatre également à l’époque, qui dévoile « le tâtonnement » fertile de la psychiatrie ouverte mais confesse également quelques erreurs et sorties trop rapides liées à « l’idéologie » de l’époque. S’il valait mieux que les patients soient à l’extérieur, qu’enfermés au sein de l’établissement, le suivi thérapeutique a pu ainsi être moins efficace pour certains malades n’ayant pas été assez accompagnés et encadrés.
Le tournant sécuritaire de la psychiatrie initié dans les années 2000 par Nicolas Sarkozy, en réaction à la mort d’un jeune homme, poignardé à Grenoble par un patient échappé d’un service psychiatrique, est alors frappant à voir en images. Lorsque la réalisatrice retourne aujourd’hui à Erstein, il ne reste plus grand chose des pavillons ouverts de son enfance, alors que trône au centre du complexe hospitalier un établissement flambant neuf « en forme d’escargot » construit en 2014 et répondant à des critères de sécurité très élevés.
Désormais, toutes les portes, autrefois « un peu trop ouvertes », doivent être badgées et les patients escortés pour pouvoir s’offrir une collation aux distributeurs. Le personnel soignant témoigne volontiers – chose assez rare - devant la caméra de leur quotidien difficile « où les exigences de sécurité, les normes, impliquent de remplir de plus en plus de papiers au détriment du contact avec les patients ». La psychiatrie se montre sécuritaire et aliénante…
La psychiatrie, reflet des paradoxes de la société
Le documentaire n’est cependant pas à charge contre la psychiatrie moderne, mais témoigne au contraire de son rôle de « soupape » d’ajustement des demandes politiques et sociales.(...)