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La semaine où le monde a frôlé l’apocalypse nucléaire
Article mis en ligne le 18 août 2017

En 1983, les États-Unis ont simulé une guerre nucléaire avec la Russie, et sont passés à deux doigts d’en déclencher une pour de vrai. Avec Trump et la Corée du Nord, nous n’aurons peut-être pas autant de chance la prochaine fois.

C’est l’un des grands mystères de la Guerre froide : comment le monde a-t-il fait pour ne pas disparaître lors de la deuxième semaine de novembre 1983 ?

Une grande partie de notre survie est due aux actions –ou plutôt à l’inaction– d’un officier de l’armée de l’air américaine, Leonard Perroots, mort en janvier dernier. Que nous ayons frôlé l’anéantissement, au contraire, est imputable au bellicisme rhétorique et militaire de Ronald Reagan, à la terreur qu’il a suscité chez les Soviétiques et au tragi-comique d’un malentendu qui aurait pu nous coûter très cher. Jamais dans l’histoire deux pays n’avaient investi autant de ressources humaines, financières et techniques pour deviner les intentions de leur adversaire, comme l’ont fait les États-Unis et l’URSS. Et pourtant, leur myopie fut telle que les Soviétiques confondront une simulation de l’Otan avec le préambule d’une véritable offensive, tandis que Reagan demeurera persuadé de faire son maximum pour maintenir la paix. (...)

Pendant des décennies, le gouvernement américain a gardé secrets des chapitres entiers de cette quasi-catastrophe, mais aujourd’hui, les leçons de cet effroyable automne nous parviennent tout juste. Elles n’auraient pas pu mieux tomber. (...)

Au lendemain de l’annexion de la Crimée par la Russie, les pays baltes ont intensifié leurs exercices militaires et l’Otan a renforcé ses moyens militaires dans les zones les plus vulnérables d’Europe de l’Est. Le Kremlin a qualifié les missiles américains de « menace certaine pour la Fédération de Russie » et l’Europe s’est une nouvelle fois retrouvée à portée de missiles de croisière après le déploiement par Moscou d’un nouveau système d’armement nucléaire enfreignant un traité historique signé voici trente ans. Parallèlement, la Russie n’a eu de cesse d’envoyer des avions tester les résistances de l’espace aérien européen et la patience des navires de guerre américains, sans compter que les opérations en Syrie ont dangereusement rapproché les troupes russes et américaines. Avec la frappe américaine contre une base aérienne syrienne approvisionnée par la Russie, les coûts d’une erreur de jugement n’ont fait qu’augmenter. Comme l’a écrit il y a peu Mikhaïl Gorbatchev : « On dirait que le monde se prépare à la guerre, […] la menace nucléaire semble de nouveau réelle ». (...)

Au XXe siècle, la question stratégique la plus déconcertante a sans doute été : comment éviter une guerre nucléaire –et que faire si la prévention échoue ?

Au début des années 1970, les Soviétiques avaient compris qu’il était impossible de gagner une guerre nucléaire, et ce dans aucun sens du terme. Certaines armes américaines allaient survivre à l’offensive et une seule ogive thermonucléaire était suffisante pour réduire Moscou à néant. Néanmoins, les Soviétiques voyaient un avantage –fût-il à la Pyrrhus– à attaquer les premiers : plus ils détruiraient de munitions, moins leur ennemi en disposerait pour riposter. Comme un National Intelligence Estimate, un document du renseignement américain venant d’être rendu public, le détaillait en 1987 (...)

non seulement les Soviétiques se tenaient prêts à riposter sur-le-champ à toute offensive américaine (un dangereux automatisme toujours d’actualité), mais ils prévoyaient de tirer leurs missiles si jamais, selon eux, les États-Unis étaient en train de se préparer à attaquer –un coup de Trafalgar atomique, en quelque sorte.

Avec l’élection de Reagan, c’est ce moment que l’Union soviétique vit se rapprocher. Jimmy Carter avait pris un certain nombre de décisions provocatrices (...)

Personne ou presque ne sait que le monde a frôlé une guerre nucléaire en 1983, mais Reagan modifiera son regard sur les Soviétiques. Le 18 novembre, il écrit dans son journal : « J’ai l’impression que les Soviétiques sont tellement sur leurs gardes, tellement paranoïaques d’une attaque que nous devons leur dire que personne ici n’a la moindre intention de les agresser, et ce sans rien leur céder pour autant. »

Lorsque Gorbatchev arrive au pouvoir en 1985, le président américain s’associe avec le réformateur soviétique pour démanteler les Pershing II, les Gryphon ou encore les SS-20, ce qui ne sera qu’un début dans la réduction de l’arsenal nucléaire. Aujourd’hui, les accords New START le limitent, dans chaque pays détenteur de l’arme atomique, à 1.550 ogives stratégiques et 700 missiles et bombardiers. Able Archer 83 marquera un tournant dans les relations entre Washington et Moscou.

Malheureusement, ces relations ont fait marche arrière.
(...)

Donald Trump –dont la versatilité psychologique est un sujet de préoccupation– est passé maître en incertitude militaire, à force de déclarations confuses, contradictoires et parfois même va-t-en-guerre. Et les risques d’un malentendu ou d’une erreur de jugement ne se limitent pas à la Russie –la Corée du Nord est un autre adversaire de taille, qui œuvre depuis des décennies à l’élargissement de son arsenal nucléaire. Les États-Unis et la Corée du Sud ont récemment mené un exercice militaire conjoint d’envergure, qui aura mobilisé des dizaines de milliers de soldats. Et à l’instar des Soviétiques des années 1980, les Nord-Coréens ont pu craindre que de tels exercices ne soient en réalité la préparation déguisée d’une véritable attaque.

Able Archer 83 nous rappelle non seulement comment les armes nucléaires sont les quelques rares menaces existentielles pesant sur les États-Unis et leurs alliés, mais aussi l’humilité nécessaire à la conduite d’une bonne politique de défense. Les États-Unis sont convaincus qu’il suffit de bien exprimer ses intentions et de bien connaître celles de leurs adversaires pour mener une telle stratégie. Ils ont aussi tendance à se croire maîtres des conséquences de leurs actions. Deux phénomènes qui n’ont rien d’obligatoirement vrai. Il arrive que les malentendus, le hasard et les accidents écrivent aussi l’histoire. En 1983, c’est le sang-froid d’un homme qui nous aura évité l’anéantissement. Malheureusement, ce n’est pas pour cette qualité que Donald Trump est le plus connu.