
À quoi sert l’archéologie ? Pourquoi dérange-t-elle nos politiques au point que l’actuelle ministre de la Culture s’en est pris aux chantiers d’archéologie préventive ? Réponse dans trois émissions de « L’Échappée » dont les invités sont des historiens incarnant cette discipline qui oblige à regarder notre passé, et donc la France, en face, sans mythes ni fadaises.
En avril 2024, inaugurant les restaurations du château de Dampierre, dans les Yvelines, propriété de la richissime famille Mulliez, la ministre de la Culture, Rachida Dati, s’en est pris aux fouilles archéologiques préventives qui avaient précédé ces travaux. À sa manière, sans façons ni précautions : « Il ne faut pas faire des fouilles pour se faire plaisir, ou alors on ne fait pas payer. […] Je préfère mettre de l’argent dans la restauration du patrimoine plutôt que de creuser un trou pour creuser un trou ».
Cette sortie ministérielle n’était pas anodine, et les archéologues professionnels ne s’y sont pas trompés qui, immédiatement, s’en sont émus. Elle annonçait en effet une offensive au nom de la « simplification administrative » contre les dispositions légales qui, depuis une loi obtenue de longue lutte en 2001, obligent collectivités, entrepreneurs, maîtres d’ouvrages, constructeurs et bâtisseurs, publics et privés, etc., de soumettre leurs projets d’aménagements à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP, créé en 2002) qui, après les avoir évalués, décide si des fouilles sont impératives, quitte à retarder les travaux prévus.
Qui a peur de l’archéologie ? Sous ce titre, Jean-Paul Demoule et Alain Schnapp, se sont immédatement demandé, dans un ouvrage aussi pertinent que pédagogique paru dès septembre 2024, ce que signifiait cette offensive. Ils étaient les mieux placés pour le faire car c’est leur entêtement, depuis leurs études communes à la Sorbonne à la fin des années 1960, qui est à l’origine de la loi de 2001 et de la création de l’INRAP en 2002. Archéologue préhistorien, Jean-Paul Demoule en fut le premier président (2001-2008), tandis qu’Alain Schnapp, historien archéologue spécialiste de la Grèce antique, prenait la direction de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), créé au même moment.
Leur livre est le point de départ de cette série d’émissions spéciales de « L’Échappée », dont l’actuel président de l’INRAP, Dominique Garcia, historien archéologue spécialiste de la Gaule, est le troisième invité. Tous trois ont codirigé ensemble un ouvrage fondamental, paru en 2018, Une histoire des civilisations, sous-titré Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances, qui, avec une grande rigueur scientifique, met en évidence l’enjeu politique de cette bataille autour de l’archéologie. (...)
Durant ces trois émissions, diffusées en accès libre les vendredis 8, 15 et 22 août à partir de 19 h, Jean-Paul Demoule, Alain Schnapp et Dominique Garcia partagent avec simplicité leurs éminents savoirs pour mieux nous faire comprendre qu’il n’y a d’histoire qu’au présent. Autrement dit que se confronter vraiment au passé, sans mythologie ni illusion, c’est affronter résolument le présent. (...)
Le journalisme, tel que nous l’entendons à Mediapart, n’est pas sans affinité avec l’archéologie : nous aussi, nous cherchons des traces, des indices, des trésors, des bribes d’humanité tout comme des secrets de puissants. La seule différence est de résonance, d’actualité immédiate et de pertinence obligée. Or elle n’est que d’apparence : ce que disent nos trois invités, c’est que le passé, aussi lointain soit-il, plutôt que d’être un monument antiquaire, figé et immobile, est une source d’inspiration vivante pour le présent, stimulante et dérangeante. (...)