
La CFE-CGC, la confédération des cadres, occupe une place singulière dans le paysage syndical. Elle est la seule organisation catégorielle à être représentative au niveau national, avec 19,39 % des suffrages exprimés lors de la dernière mesure d’audience syndicale de 2017.
Mais elle se distingue aussi par la personnalité et le franc-parler de son président François Hommeril, réélu pour un deuxième mandat en octobre dernier. Ce Rouennais d’origine, ingénieur chimiste et cadre chez Péchiney s’est opposé à la loi El Khomri puis aux ordonnances Macron. Il a tempêté contre la réforme de l’assurance chômage, avant de se ranger dans le camp de l’intersyndicale contre la réforme des réformes.
(...) François Hommeril revient sur les contrevérités qui fondent, selon lui, le futur régime de retraite. Et propose des solutions alternatives. (...)
Deux volets sont à l’ordre du jour : jusqu’à 2027, avec l’âge pivot, et ensuite avec l’âge d’équilibre ! Deux mots pour dire exactement la même chose. Le gouvernement a adopté une stratégie d’évitement pour focaliser l’attention sur l’échéance de 2027, alors que notre cible principale, c’est ce qui va se passer ensuite, avec l’entrée en vigueur de la retraite à points. (...)
Le fait de passer de huit à trois plafonds de la Sécurité sociale représente 3,7 milliards d’euros de cotisations en moins par an… Nous tirons la sonnette d’alarme depuis près de deux ans. Jean-Paul Delevoye a bien tenté de répondre à côté, en proposant de baisser progressivement les niveaux de plafonds de huit à sept puis à six… Mais on a beau retourner le problème dans tous les sens, le gouvernement confond stock et flux. (...)
Nous montons au créneau au nom du déséquilibre financier que le gouvernement crée lui-même ! Il a beau répéter que des gens qui sont à plus de 10 000 euros par mois n’ont pas besoin de la solidarité, il ponctionne des réserves que chacun a contribué à créer. Il détruit des éléments de solidarité. (...)
Le conseil d’Etat a sévèrement critiqué le projet de loi. Pensez-vous utiliser ses arguments ?
« Le conseil d’Etat rejoint l’intersyndicale ! » C’est ce que j’ai très vite tweeté. Evidemment, le rapport de force est plus solide lorsqu’une majorité des corps sociaux s’exprime conformément à l’opinion. Mais le rapport de force le plus efficace est celui de la conviction, que l’on construit à partir de l’analyse des données. Nous sommes dans une impasse peu éclairée, car la réforme repose sur des mensonges en série. (...)
Pour justifier un mensonge originel, le gouvernement en accumule d’autres et en vient à contrarier les éléments les plus élémentaires de la réalité. Les cinq réformes précédentes des retraites ont été menées sur des constats partagés de l’état des régimes, qui appelaient des réponses politiques, et poussaient chacun à prendre ses responsabilités, ce que la CFE-CGC a fait en 2015 avec l’accord Agirc-Arrco qui a introduit un bonus-malus temporaire. Ce n’est pas si facile à faire, mais on l’a fait.
Vous parlez de mensonges, lesquels précisément ?
Prenez les bas salaires : la garantie de minimum de pension à 1 000 euros est en réalité fantaisiste, puisqu’une personne ayant une carrière complète au Smic en profite déjà. Mais lorsqu’on a travaillé toute sa vie au salaire minimum, on a toutes les chances que cette trajectoire soit chahutée, donc lacunaire. Ce sera plutôt le minimum vieillesse qui attend ces salariés.
En fait, cet argument n’est valable que pour certains indépendants et les agriculteurs. (...)
Deuxième mensonge : les mères de famille. Aujourd’hui, dans le régime général, un enfant donne droit à deux années de cotisations (huit trimestres, NDLR), ce qui leur évite de subir une décote de 10 % s’il leur manque l’équivalent de ces trimestres. Demain, on aura beau donner à la mère, ou au père d’ailleurs, 5 % de bonus dès le premier enfant, un élève de CM1 est capable de faire la soustraction : la mère aura une décote de 5 % sur sa pension. Nous l’avons dit à Jean-Paul Delevoye, dès le début. Il nous a répondu : on a réalloué les avantages familiaux à l’ensemble de la population, mais les femmes qui ont une carrière complète y gagneront… On a créé un bonus pour celles qui ont tous leurs droits au détriment des autres. C’est antisocial. (...)
Troisièmement : les carrières ascendantes. On sait que les jeunes commencent à se stabiliser aux alentours de 30 ans et qu’ils galèrent ensuite à partir de 55 ans. Il y a donc 25 années un peu stables, pendant lesquelles la carrière devient ascendante. Mais à partir du moment où l’on déborde des 25 meilleures années pour calculer les pensions, on détériore l’image de carrière harmonieuse dont la retraite doit être le reflet. Or, nous savons que nos collègues quinquagénaires dans la métallurgie, le bâtiment, la banque… sont souvent entrés dans la vie active comme ouvrier ou employé avant de devenir cadre, agent de maîtrise. L’ascenseur social, c’est quelqu’un qui commence au Smic et qui finit à deux fois le Smic. (...)
La seule catégorie qui s’en sort est celle des cadres diplômés des grandes écoles, qui entrent dans la vie active avec un revenu supérieur au plafond de la sécurité sociale (...)
Les simulations sont toutes bidons pour une raison simple : il suffit de lire sa fiche de paie (...)
La réforme est inutile et dangereuse. Les partenaires sociaux ont toujours assumé cette question de l’équilibre financier dans le passé. Nous avons veillé à constituer des réserves pour que notre système affronte les vagues de la démographie et anticipe les déficits. C’est juste socialement, car ce sont les cohortes les plus nombreuses qui constituent ces excédents, puis qui les consommeront une fois à la retraite. Avec ce système, on ne fait pas peser les risques sur les générations futures. (...)
Muriel Pénicaud affirme qu’en l’absence de réforme, on laisserait la dette sur le dos de nos enfants. C’est un argument qui ne tient pas la route une seconde. Lorsque la ministre du Travail prône un régime équilibré, sans réserves, cela produit justement les effets qu’elle dénonce. Nous sommes confrontés en permanence à des éléments de langage… J’ai du mal à saisir, je viens d’un monde où l’on ne conteste pas la réalité. (...)
le Premier ministre anticipe, dans la lettre qu’il nous a adressée, l’absence de compromis final. Je lui ai demandé ce que signifiait pour lui un accord. Ce sera « lorsque j’aurai le sentiment qu’il y a un accord… », a-t-il répondu en substance.
Evidemment, au vu des conditions que j’ai décrites, ma première demande aurait été le report de la réforme. Mais, à partir du moment où nous sommes obligés de nous soumettre à un agenda politique, j’attends au moins du gouvernement qu’il présente une solution qui marche ! Or, ce qui est présenté aujourd’hui ne fonctionne pas, et ne fonctionnera pas. On court à la catastrophe. (...)
Ce gouvernement est tellement pressé de se faire bien voir du monde du business, que ses membres ont totalement perdu pied avec ce qu’est la réalité du monde de l’entreprise. La majorité vient de voter contre l’allongement de cinq à douze jours de congé pour deuil d’un enfant, alors que le patronat est prêt à payer. Devant le tollé général, ça n’a pas traîné, la ministre a rétropédalé (...)
Le patronat n’a jamais non plus été demandeur de cette réforme à points. Quant à cette affaire du passage de huit à trois plafonds de la Sécurité sociale, il a commencé à tordre le nez et à flairer les ennuis. Surtout du côté du Medef et de l’Afep (Association française des entreprises privées, NDLR). Car ces 100 000 salariés du privé qui ne cotiseront plus au-dessus de 10 000 euros par mois – pour les professions libérales, cela représente au passage 200 000 personnes supplémentaires – se trouvent essentiellement dans les grands groupes. Or, jusqu’à présent, ces employeurs payaient une cotisation qui les satisfaisait, alors que demain, ils devront proposer un service qui leur coûtera beaucoup plus cher et qui sera de moindre rendement. (...)
Du côté de la CPME, c’est pareil : ils ne sont pas demandeurs. La situation est plus compliquée avec l’U2P. Car elle défend à la fois les artisans qui saluent plutôt la réforme, mais elle représente aussi les professions libérales depuis peu de temps. Et là, on voit bien que les avocats par exemple sont très remontés contre le projet. (...)
les cadres qui incarnent une forme de rationalité représentent un danger pour des politiques qui ont perdu pied avec le réel. Ils ne supportent pas que leurs pairs leur renvoient leurs contradictions et les conséquences de leurs actes. (...)
Contrairement au syndicalisme où on adhère sur le long terme, l’électorat politique est bien plus volatil ! La réforme des retraites sera un des enjeux de la prochaine campagne présidentielle. C’est sur un dossier comme celui-là qu’on gagne ou qu’on perd une élection. (...)