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le grand soir
La réalité et le fantasme
Article mis en ligne le 8 mars 2014
dernière modification le 4 mars 2014

Comme tous les militants de la cause palestinienne, et plus particulièrement ceux qui soutiennent la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), les signataires de cette lettre se trouvent journellement confrontés à l’accusation d’antisémitisme. C’est l’arme absolue destinée à disqualifier toute critique de la politique menée par le gouvernement israélien, qui en fait un usage délibéré et systématique. On ne peut que déplorer que cette accusation soit relayée par notre propre gouvernement, même au prix d’un mensonge, comme lorsqu’un premier ministre en exercice dénonce un fantasmatique "boycott des produits kasher" dont on ne trouve de trace que dans son propre discours.[1] Toute cette propagande crée un climat malsain, et nous souhaitons un retour à la réalité.

Cette réalité ne peut être vue que sur le terrain, en Cisjordanie et à Gaza. C’est là seulement qu’on peut voir et vivre ce que sont l’occupation et la colonisation. Elles morcèlent l’espace physique et structurent l’espace social. La bande de Gaza est une prison à ciel ouvert, et la Cisjordanie est un gigantesque jeu de go, où chaque village arabe est marqué par une colonie, comme les pions blancs marquent les pions noirs. Ce territoire est traversé de routes interdites aux Palestiniens mais ouvertes aux colons, moyens de communication pour les uns et obstacles pour les autres, unifiant l’espace physique pour les uns et le morcelant pour les autres. La route inscrit l’apartheid dans le territoire, comme le mur de séparation, ou les checkpoints avec leurs miradors. Pas plus que le territoire, le temps du Palestinien ne lui appartient : il ne peut pas faire de plans, le simple fait d’arriver à l’heure à un rendez-vous n’est jamais assuré. C’est que le moindre déplacement est hasardeux : les routes autorisées font de long détours pour contourner les colonies et sont parsemées de checkpoints, volants ou fixes, que l’on n’est jamais assuré de franchir. Et par-dessus ces difficultés quotidiennes, il y a la conscience que chacun peut être arrêté et détenu sans même savoir pourquoi, sous le régime de la détention administrative. Les clivages sont nets : le soldat contre le civil, l’occupant contre l’occupé, le colon contre l’indigène. La force est toute entière d’un côté, et au cas où on l’oublierait, la géographie vous le rappellerait.

Bien sûr, de France, on peut confortablement ignorer la réalité sur le terrain en Palestine. (...)

fait indéniable que les citoyens israéliens ne sont pas tous juifs, et que les juifs ne sont ni tous citoyens israéliens, ni tous solidaires de l’ État d’Israël, est occulté au profit d’une représentation qui fait du gouvernement israélien le représentant et le porte-parole de tous les juifs du monde, et qui permet donc de taxer ses adversaires d’antisémitisme. Notons que ceux qui attribuent à un complot juif mondial le soutien accordé à la politique israélienne par les gouvernements et les médias occidentaux parlent sans le savoir le même langage.

Descartes évoquait l’aveugle qui attire le clairvoyant dans la cave pour se battre avec lui. Il faut exorciser ces représentations, extirper ces clivages, et pour cela chercher sur quel imaginaire elles se fondent. Nous pensons qu’elles se ramènent toutes à une même idée, à savoir que certains êtres humains le sont moins que d’autres : il y aurait des gens qui non seulement ne sont pas comme nous, mais sont moins bien que nous, soit que leur niveau de culture ne leur permette pas d’apprécier les bienfaits de notre civilisation, soit que par nature ils soient réfractaires aux valeurs humanistes qui inspirent notre action, si bien qu’on ne saurait partager avec eux un monde commun. Nulle part cette séparation n’est plus criante qu’en Palestine historique où le gouvernement israélien a restructuré l’espace géographique pour que deux populations, qui vivent sur la même terre, ne se rencontrent pas.

L’idée que certains êtres humains souffriraient d’un défaut d’humanité engendre la haine et la mort par une logique implacable. (...)

Nous devons donc revenir à la réalité, c’est-à-dire agir pour que les êtres humains soient traités sur un pied d’égalité partout dans le monde, et combattre les représentations contraires. Il faut écouter ceux qui vont sur le terrain en Palestine, lire les rapports des organisations internationales, et appliquer les avis de la Cour internationale de Justice. Il faut combattre les violations du droit international que constituent l’occupation militaire prolongée et la colonisation des territoires palestiniens conquis en 1967. En même temps il faut combattre l’antisémitisme, l’islamophobie et toutes les formes que peut prendre l’idée que certains êtres humains le sont moins que d’autres. C’est le même combat ! (...)