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La raison néolibérale
Article mis en ligne le 16 mars 2010
dernière modification le 15 mars 2010

Note de lecture - Fabrice Flipo propose un compte-rendu de La nouvelle raison du monde - Essai sur la société néolibérale dernier ouvrage de Pierre Dardot & Christian Laval, paru à La Découverte, 2009.

...Les écarts par rapport au libéralisme classique sont considérables : les relations économiques sont désormais au fondement de la société tout entière, il n’y a plus de référence au bien commun ni au droit naturel, le législatif n’est plus le pouvoir suprême, et le consentement du peuple n’est plus le fondement de la règle ! Bref, la démocratie a été liquidée au profit de la « liberté », celle-ci étant comprise en un sens très particulier...

...C’est avec l’arrivée au pouvoir de Reagan et Thatcher que la « rationalité nouvelle » ainsi mise en place sur le plan théorique finit par passer dans les politiques publiques. Pour Dardot & Laval, on l’a compris, le néolibéralisme est une rationalité nouvelle qui se caractérise par la mise en concurrence de tous les secteurs de la société – y compris les services de l’Etat, d’où le New Public Management. Il n’y a pas de « retrait de l’Etat », ce dernier remplissant des fonctions essentielles au bon fonctionnement de la machine – notamment en être le dernier garant, comme la crise financière de 2008 l’a démontré de manière éclatante, et plus généralement produire les « biens publics » (stabilité juridique etc.) qui remplacent les « biens communs », qui sont écartés....

...Il ne s’agit pas d’un « retour du marché », comme l’a cru la critique « antilibérale », mais d’une « mise en marché » de la société. La « gouvernance » désigne ce partenariat public-privé en vue de « l’efficacité », un critère qui fonctionne comme une évidence partagée. Une forme nouvelle d’individualisme se met en place. La « cage d’acier » de Weber est démantelée au profit de petites cages que chacun est tenu de construire pour demeurer « compétitif ». La « troisième voie » de Blair, Clinton, Delors et Schröder est l’incarnation de cette politique à gauche. Toute rationalité impliquant une recherche de l’intérêt général est proscrite – car dangereuse. Seule compte « la liberté »....

...La conséquence principale de ce programme est que la politique se trouve dégradée en gestion. Le management remplace les débats sur le bien commun. La rationalité néolibérale fabrique ce qu’elle clame ensuite découvrir : que l’individu est égoïste. On assiste donc à une dé-démocratisation, si par « démocratie » on entendait une forme ou une autre de souveraineté du peuple. Le néolibéralisme est donc un « antidémocratisme », cela par essence et non par accident....

...Quelques regrets cependant. Ce que ce livre passe entièrement sous silence, ce sont les enjeux d’une alternative. L’histoire des idées y semble un peu déconnectée de l’histoire et de l’évolution concrète des sociétés. Les raisons qui ont permis la mise en place du néolibéralisme ne sont pas sérieusement étudiées...

...Sommes-nous prêts, pour le bien commun, à aller vers des formes d’austérité matérielle qui seraient aussi des modes de vie plus riches d’autres dimensions ? Si nous sortions de la rationalité économique, nous le payerions d’une décroissance, c’est au moins ce que les mouvements pour la décroissance, qui proposent eux aussi de sortir de la rationalité économique, ont le courage d’affirmer et de théoriser...

...La question cruciale n’est donc pas : concurrence ou pas, Etat ou pas, mais : croissance ou pas – c’est-à-dire : voulons-nous la croissance (économique) ou pas ?. Telle est la question qui dérange aussi bien à droite qu’à gauche, et qui est pourtant la question clé à ouvrir pour poser les bases d’un avenir qui ne soit pas un cauchemar....

...L’individualisme qui se forme à l’issue de cette mise en concurrence n’a pas du tout été anticipé par Marx, lire et relire ses textes n’y changera rien. Au contraire, la consommation croissante était une revendication explicite, relayée par les mouvements ouvriers. Cet aspect est totalement absent de l’analyse de Dardot & Laval. C’est un manque important si l’on veut penser la situation actuelle.