
PQR et PQD sont dans un bateau, et le bateau coule. Tel est le constat d’une enquête de Mediacités, média en ligne local et indépendant, qui balaie dix années de déboires pour les presses quotidiennes régionale et départementale (respectivement PQR et PQD donc). Résultat : 12,7 % de pertes d’effectifs de journalistes sur l’ensemble du territoire français, 108 agences locales fermées, et des groupes de presse qui accentuent leur monopole au mépris du pluralisme.
Comme le résume Mediacités, « entre les diminutions d’effectifs, la priorité donnée coûte que coûte au digital et la perte de pluralisme causée par la concentration de la presse, PQR et PHR (Presse Hebdomadaire Régionale) traversent une phase très difficile et pourtant assez peu médiatisée. »
Aujourd’hui, annoncent les auteurs de l’enquête, « seuls 17 départements disposent d’au moins deux quotidiens locaux issus de groupes différents », soit deux fois moins qu’en 2009.
Un peu de concentration, s’il vous plaît !
Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais continuent de s’accentuer à mesure que les logiques managériales des grands groupes – Ebra, La Dépêche, SIPA – Ouest-France, etc. – gagnent du terrain. Dans un paysage journalistique local délétère, les hommes d’affaires et autres industriels continuent de faire leur marché. (...)
Cette « main basse » de grands propriétaires sur la presse locale se double d’une dépendance importante à la publicité institutionnelle et industrielle, qui nuit à la production d’une information de qualité. (...)
Au-delà de la nécessaire critique de la surenchère de faits divers, dont la PQR fait son miel, ou du suivisme à l’égard des pouvoirs locaux, force est de constater que l’emprise des hommes d’affaires, via les contraintes économiques et humaines qu’ils imposent, laisse peu de place au travail d’enquête indépendant. Et conduit à un conformisme qui fut porté à son paroxysme lors des dernières élections européennes, (...)
Presse libre ou « pas pareille » ?
En contraste avec le marasme de la PQR, la presse locale indépendante ne manque pas de vitalité. Certains médias se développent en ligne, et accordent une large place au travail d’enquête. C’est le cas de Mediacités donc, mais aussi du Poulpe en Normandie, de Far Ouest à Bordeaux, de Rue 89 à Strasbourg, Bordeaux et Lyon, de Marsactu à Marseille… pour n’en citer que quelques-uns. Ravivant le principe d’un « contre-pouvoir » local, ces initiatives restent cependant souvent cantonnées aux grandes villes, et demeurent absentes des étagères des kiosques ou des stands de marchés.
D’autres médias s’attachent à retrouver un ancrage local dans les villes et territoires qui échappent aux fameux grands groupes. Un réseau de canards indépendants, aux tonalités libres, satiriques, parfois militantes, se distribuent sur les marchés ou dans les épiceries de village, à prix libre ou dérisoire. La Brique à Lille, Le Postillon à Grenoble, L’Empaillé, récemment aperçu en Aveyron, ou encore La Pieuvre du Midi, qui couvre Béziers et ses environs depuis 2016 : tous témoignent d’une presse locale émancipée des travers de la PQR.
La précarité reste cependant de mise pour ces journaux, impliquant bien souvent l’engagement de journalistes rognant sur leurs conditions de travail, prisonniers d’une vulnérabilité financière dont ne se préoccupe guère l’actuel et inégalitaire système de répartition des aides à la presse.
Le procès-bâillon n’épargne pas les petits
La survie d’une presse locale papier véritablement indépendante est en outre régulièrement rendue difficile par des procès-bâillons, et d’autres formes de censures, tant les pouvoirs et les industriels locaux sont peu habitués à ce que la PQR les contredise. (...)
Ces atteintes ne sont pas le fait du seul pouvoir économique, les politiques n’hésitant pas à jouer cette carte pour préserver leur honneur, comme en témoignent d’autres exemples récents. (...)
Souvent dévastateurs pour l’économie de petits journaux indépendants, ces exemples montrent néanmoins que, loin des groupes de PQR qui servent la soupe aux puissants, une autre presse locale est bel et bien souhaitable… et possible. (...)
Annexe : L’Âge de faire
Ce mensuel écolo délocalisé dans les Alpes-de-Haute-Provence, a édité une carte de la presse « pas pareille » (expression empruntée au Ravi, canard marseillais), consultable en ligne.