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La presse écrite, supplétif d’Amazon et du commerce en ligne
Article mis en ligne le 12 janvier 2022

Le numérique a progressivement transformé les déclinaisons web des médias en de vastes supermarchés. Les contenus sponsorisés et publicités marchandes pullulent, les publi-reportages font florès. Et depuis quelques années, la pratique marketing du « content-to-commerce » gagne de plus en plus de terrain : les médias publient des guides d’achats et autres analyses de produits, intégrant des liens marchands vers les plateformes de commerce en ligne. Une source de revenus en plein essor.

Face à l’érosion des recettes publicitaires et des ventes de journaux, la presse écrite a depuis longtemps recours à des opérations de diversification pour générer des revenus. Par exemple : organisation d’événements et autres « forums » au profit d’institutions publiques ou privées [1], voire même d’États [2] ; organisation de croisières en compagnie de « stars de l’info » [3] ; vente de produits dérivés ; publireportages, « suppléments partenaires » et autres contenus réalisés par les régies publicitaires des groupes de presse ; partenariats avec des fondations privées ou les GAFAM [4] noués dans le cadre de projets éditoriaux spécifiques [5].

Et depuis quelques années, une pratique marketing a le vent en poupe : le « content-to-commerce », soit la publication de guides d’achats, de comparatifs et de comptes rendus de produits intégrant des liens marchands vers les plateformes de commerce en ligne (Amazon, Cdiscount, Fnac, etc.). En clair, une forme plus aigüe de monétisation des audiences et une forme « éditorialisée » de réclames qui contourne les bloqueurs de publicité.

Ces contenus peuvent figurer dans les rubriques « Guides d’achat » ou « Service » des interfaces numériques des grands médias, « mais parfois aux côtés des articles de la rédaction. » (...)

Petit business deviendra grand

La Lettre A rappelle que dans le cas du Monde, la pratique est relativement récente, initiée en 2018 à la faveur d’un partenariat avec Wirecutter, comparateur de produits fondé en 2011 et depuis 2016, propriété du groupe New York Times. Et à bien écouter le quotidien vespéral, il s’agit simplement de « rendre service » : « Repérer et choisir les meilleurs produits n’a jamais semblé si difficile, en particulier sur Internet où les informations sont pléthoriques mais de qualité inégale. » (Le Monde, avr. 2020). Le fait que Le Monde pousse à la consommation, fasse la promotion du e-commerce et perçoive des commissions sur des produits achetés sur des plateformes connues pour leurs pratiques fiscales et leurs politiques salariales irréprochables ? Cela « finance notre rédaction et concourt à l’indépendance éditoriale et à l’impartialité de nos articles de recommandation. Les sites marchands vers lesquels nous renvoyons ont été choisis dans le souci de proposer des prix bas et d’offrir une variété de commerçants susceptible de correspondre aux préférences de consommation de nos lecteurs. » Tout va bien…

Appâtées par l’essor du commerce en ligne au moment de la crise du Covid, les rédactions françaises veulent en outre accélérer le mouvement. (...)

Petit business deviendra grand

La Lettre A rappelle que dans le cas du Monde, la pratique est relativement récente, initiée en 2018 à la faveur d’un partenariat avec Wirecutter, comparateur de produits fondé en 2011 et depuis 2016, propriété du groupe New York Times. Et à bien écouter le quotidien vespéral, il s’agit simplement de « rendre service » : « Repérer et choisir les meilleurs produits n’a jamais semblé si difficile, en particulier sur Internet où les informations sont pléthoriques mais de qualité inégale. » (Le Monde, avr. 2020). Le fait que Le Monde pousse à la consommation, fasse la promotion du e-commerce et perçoive des commissions sur des produits achetés sur des plateformes connues pour leurs pratiques fiscales et leurs politiques salariales irréprochables ? Cela « finance notre rédaction et concourt à l’indépendance éditoriale et à l’impartialité de nos articles de recommandation. Les sites marchands vers lesquels nous renvoyons ont été choisis dans le souci de proposer des prix bas et d’offrir une variété de commerçants susceptible de correspondre aux préférences de consommation de nos lecteurs. » Tout va bien…

Appâtées par l’essor du commerce en ligne au moment de la crise du Covid, les rédactions françaises veulent en outre accélérer le mouvement. (...)

L’appétit des médias s’aiguise d’autant plus que la pratique est lucrative. (...)

Une telle reconversion implique évidemment une adaptation des pôles commerciaux des éditeurs aux agendas marketing. En 2018, nous relevions déjà l’engagement du Figaro en faveur des annonceurs au moment de la Saint-Valentin. Les fêtes de Noël, « Black Fridays » et autres périodes de soldes ponctuent donc le calendrier des médias concernés. (...)

Presse et publicité ne peuvent faire bon ménage. Hier accueillie en marge des articles, la publicité s’est mue au fil du temps en articles. Quand bien même les groupes de presse plaident la transparence et l’indépendance des rédactions par rapport au pôle commercial, on est en droit de se demander dans quelle mesure ils pourront continuer à informer le public sur les entreprises dont ils louent les produits et services. Mais quoi qu’il en soit, ça ne répondrait pas au problème de fond : en publiant des articles pour favoriser la consommation à outrance, les médias renforcent de fait l’idéologie dominante ; en transformant leurs interfaces numériques en supermarchés, les médias se convertissent en acteurs à part entière du commerce en ligne. Une pratique d’autant plus problématique que la concentration des médias se renforce, avec à la manœuvre, des actionnaires/grands industriels ayant tout à gagner de ce mélange des genres.

Pour inquiétantes qu’elles soient, de telles évolutions ne sont pas surprenantes, encouragées par un laisser-faire permanent des pouvoirs publics sur le monde des médias et la production de l’information ; et saluées par les médias eux-mêmes. (...)

Dans un contexte d’appauvrissement croissant de l’information, de saignées humaines et économiques dans les rédactions [7] et de productivisme imposé à ceux et celles qui restent, les pôles commerciaux des médias entrevoient quant à eux des horizons plutôt dégagés...