
"Je suis arrivée aux urgences à 23 heures. J’ai pu voir un médecin, le seul je pense, à 4 h 35." Arrivée en ambulance au CHU de Pointe-à-Pitre, après une allergie aux écrevisses dans la soirée du 27 juillet, Coco, 20 ans, se souvient avoir été soignée par un personnel hospitalier "fatigué" et un médecin "à bout". "Il a utilisé la lampe de son téléphone pour voir ma gorge. Et pour prendre mon cachet, il m’a donné de l’eau dans un tube s’excusant de ne pas avoir de gobelet à me proposer", raconte Coco à franceinfo. Placardées sur les murs du couloir de l’hôpital, les affichettes déplorant des "urgences en souffrance" ne lui ont pas échappé.
En grève générale depuis le 23 juillet, et même depuis le 10 juillet aux urgences et à la maternité, les employés de l’unique CHU de Guadeloupe ne cessent de dénoncer des conditions de travail et de soins compliquées. Et peuvent compter sur le soutien des Guadeloupéens (...)
La situation critique au CHU perdure depuis l’important incendie du 28 novembre 2017, qui a ravagé les services des urgences et la maternité, et peine à être résolue, laissant le personnel soignant livré à lui-même. (...)
Manque de médecins et burn out
"La situation s’est énormément dégradée depuis l’incendie. Je suis fatiguée mais on n’a pas le droit de baisser les bras", lâche Lesly Caneval, infirmière aux urgences, arrivée au CHU en 2010. "Le combat me fait tenir car la cause est juste. Mais j’ai pas mal de collègues en burn out." Depuis le sinistre, son service a été délocalisé quatre fois. Il se trouve désormais à l’endroit qui recevait les consultations externes.
Mais, selon le personnel, ces locaux ne sont pas adaptés. Ainsi, la salle de déchocage, située à l’étage, oblige le personnel soignant à monter pour réanimer les personnes. Dans la pratique, les médecins se retrouvent souvent à effectuer des massages cardiaques au rez-de-chaussée, dans le couloir, où ils sont bousculés en permanence. (...)
La situation est tout aussi alarmante du côté du service maternité, comme le décrit Raïssa Chatenay-Rivauday, sage-femme de 36 ans. Si l’ancienne maternité n’était déjà plus "aux normes incendie depuis 2015", "la polyclinique où nous sommes installés depuis le sinistre n’est pas adaptée". "Nous avons beaucoup de personnel et de patients à gérer au quotidien dans un lieu exigu", explique-t-elle, en dénonçant des "conditions de travail difficiles". Son service, auparavant réparti sur trois étages, est actuellement tassé sur un seul étage. "Nous sommes passés de 80 lits à 20 lits avec le même nombre de patientes à gérer", décrit la sage-femme, démunie.
Box sans porte, fuites d’eau et pénurie de matériel (...)
"Il y a des problèmes de canalisation avec des remontées d’eau usée et d’odeurs. Ça fuit également dans les étages inférieurs où se trouve la néonat avec les prématurés. Du coup, il y a de la moisissure qui s’installe. Avec des nourrissons sans défense immunitaire, c’est problématique", alerte la soignante. Des vidéos montrant des fuites d’eau à différents endroits du CHU ont ainsi récemment circulé sur les réseaux sociaux. (...)
Conséquence des infiltrations, des morceaux de dalles sont récemment tombés du plafond dans le service de nurserie et de suites de couches. (...)
Reste que le matériel de base, essentiel au travail des soignants, comme les gants, les doigtiers stériles ou encore les brancards, est en quantité insuffisante."On découpe des doigtiers dans les gants qui nous restent, mais du coup le stock descend à vue d’oeil. Nous ramenons même de l’essuie-main de chez nous", reconnait Raïssa Chatenay-Rivaudet. (...)
A la maternité, la logistique a pris le dessus sur la prise en charge des patientes, écourtée faute de moyens. "Nous n’avons ni la place ni le temps de garder les patientes. On est obligé de les faire sortir beaucoup plus tôt", décrit la sage-femme. Récemment, la direction de l’hôpital a demandé à des sages-femmes à domicile de prendre le relais pour les suites de couche. "C’est compliqué car on doit faire des choix qu’on ne devrait pas faire. On n’a plus le temps d’accompagner les patientes comme avant", se désole Raïssa Chatenay-Rivauday.
Un dialogue de sourds avec les autorités
Le 10 juillet, le personnel des urgences et de la maternité a donc été le premier à se mettre en grève pour protester contre le manque de moyens. Mais après plus d’un mois de négociations avec la direction de l’hôpital et l’agence régionale de santé (ARS), la situation ne semble pas près de s’améliorer. "Nous attendons toujours des réponses sur nos propositions de relocaliser les urgences, de recruter des médecins pour couvrir toutes les plages horaires", regrette Lesly Caneval, membre du Collectif de Défense du CHU de Guadeloupe.
Contactée par franceinfo, la directrice générale de l’ARS Guadeloupe, Valérie Denux, assure que les "alertes sont prises en compte." Une aide exceptionnelle de 20 millions d’euros, décidée par le président de la République en juin dernier, a été allouée "aux produits de première nécessité dont les médicaments." (...)
Dans un courrier adressé à l’ARS en août 2019, et que franceinfo a pu consulter, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, confirme que "l’Etat continuera de soutenir massivement l’établissement." Elle conclut sa lettre sur le fait que "des améliorations concrètes pour les patients et pour les personnels seront donc ressenties dès la fin de cette année." Mais c’est déjà trop loin pour le personnel : "Le problème c’est maintenant", lâche Lesly Caneval.