
Alors que son camp s’écharpe depuis la rentrée sur la question de l’Aide médicale d’Etat, Emmanuel Macron a laissé mercredi la porte ouverte à une vieille ambition de la droite : restreindre la couverture maladie des étrangers sur le territoire français.
Tout semblait enfin clair. Objet d’un furieux débat au sein même du camp présidentiel depuis la rentrée, l’Aide médicale d’Etat (AME) serait conservée dans son principe, fermement défendu par la ministre de la Santé et des Solidarités, Agnès Buzyn, et préservée dans ses moyens, garantis mercredi par son collègue des Comptes publics : « Dans le budget que je vais présenter vendredi, il n’y aura pas d’économies faites » sur l’AME, a ainsi assuré Gérald Darmanin sur France Inter, évoquant un coût d’« un peu moins d’un milliard d’euros ». De quoi, pensait-on, faire retomber la pression, à quelques jours d’un risqué débat parlementaire sur l’immigration, voulu par le gouvernement et programmé le 30 septembre à l’Assemblée et le 2 octobre au Sénat.
Affaire tranchée ? Nenni : la question reste ouverte, a fait savoir Emmanuel Macron dans un entretien diffusé mercredi par Europe 1. Supprimer l’AME serait « ridicule », juge d’abord le chef de l’Etat, fermant la porte à cette vieille ambition de la droite et de l’extrême droite. Avant d’envisager, quand même, une restriction de ce dispositif, qui prend en charge, sous conditions de ressources, les soins médicaux des étrangers en situation irrégulière (lire ci-contre). (...)
Depuis le printemps, le gouvernement affiche sa volonté de « regarder en face » le phénomène migratoire, pour répondre à ce qu’il considère comme des abus et à leurs effets dans l’opinion. « En Conseil des ministres, ça fait un moment qu’on en parle presque toutes les semaines », confie un membre du gouvernement. La question sanitaire ne résume certes pas un débat qui, pour LREM, déborde largement des frontières françaises. « En France, on est presque au maximum de ce qu’on peut faire, juge même un député de la majorité. Le vrai sujet, c’est que le système européen ne marche pas. Donc les réponses sont à chercher à ce niveau. » Pourtant, depuis la rentrée, c’est la prise en charge des soins aux sans-papiers et aux demandeurs d’asile qui concentre le débat. « Pour continuer à accueillir tout le monde dignement, on ne doit pas être un pays trop attractif », a résumé Macron.
Approximations
En évoquant les possibles « excès » de l’AME, le chef de l’Etat braque les projecteurs sur un dispositif élevé au rang de totem par ses adversaires comme par ses partisans. (...)
Les marcheurs, eux, sont divisés sur une possible retouche de l’AME : les uns déplorent une dérive droitière de leur camp, les autres pointent les « abus ». Le débat a été émaillé d’erreurs ou approximations, à l’image du délégué général de LREM, Stanislas Guerini, évoquant la pose de « prothèses mammaires » esthétiques financées par l’AME, avant de reconnaître son erreur.
Ces derniers jours pourtant, plusieurs voix dans le camp présidentiel minimisaient, jugeant le sujet de l’AME secondaire au regard d’un autre enjeu : la Protection universelle maladie (Puma, ex-CMU), une prise en charge des soins ouverte aux demandeurs d’asile sitôt leur dossier déposé (lire ci-contre). « Beaucoup de propos sur l’AME témoignent d’une méconnaissance technique de cet outil, juge un membre du gouvernement. C’est vers la Puma qu’il faut regarder, car c’est là que des gens embolisent le système en revendiquant une protection à laquelle ils ne peuvent prétendre car ils proviennent de pays sûrs. »
Selon ses détracteurs, le dispositif attirerait de nombreux demandeurs d’asile issus de pays « sûrs », moins désireux de s’installer en France que de s’y faire soigner. (...)
La piste indigne les associations de défense des migrants. « Certains veulent désigner la Puma comme un problème, mais est-il seulement documenté ? D’où sort cette idée ? s’interroge Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile. Nous y voyons un élément de diversion, une construction intellectuelle sur des fraudes marginales, pour légitimer une réforme visant d’autres buts, politiques et budgétaires. » Pour Christian Reboul de Médecins du monde, « on a l’impression qu’un rouleau compresseur nous arrive dessus ». Il s’élève contre toute idée de carence : « Quand ils arrivent, les demandeurs d’asile peuvent passer plusieurs mois dans la rue. Leur santé s’y dégrade et les urgences deviennent leur dernier recours. »