
Après-guerre, plus de 10 000 patients ont été soumis à une lobotomie, opération qui consiste à sectionner les fibres nerveuses unissant le lobe préfrontal du reste du cerveau. Dans cette vidéo publiée en partenariat avec Universcience.tv, le neurochirurgien Marc Lévêque explique dans quelles conditions cette technique était appliquée et les effets, parfois catastrophiques, qui en résultaient.
Elle a été abandonnée à l’arrivée des neuroleptiques. Une nouvelle page de la psychochirurgie s’est ouverte en 1993 avec la première stimulation cérébrale profonde d’un patient atteint de la maladie de Parkinson. Aujourd’hui en France, ces techniques sont très encadrées et réversibles, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays.
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cette opération chirurgicale a été utilisée outre-Atlantique pour toutes sortes d’indications absolument non-codifiées. On estime que dans les années 1940-1950, plus de 20.000 Américains ont été lobotomisés. Tous les troubles psychiatriques, avec ou sans délire, ont pu constituer, parfois avec un discernement incertain, une indication, alors même que l’on retrouve également dans certains cas des patients lobotomisés pour épilepsie ou pour certains syndromes douloureux chroniques. Il est clair que la disparité de ces indications et parfois le manque de considérations éthiques qui a présidé à la décision d’opérer ont fini par jeter un certain discrédit sur cette technique.
Des neuroleptiques au retour en force de la psychochirurgie
En 1952, arrive le premier neuroleptique, la chlorpromazine. L’arrivée des médicaments a eu pour conséquence une moindre propension à lobotomiser. Mais elle n’est pas la seule à être aux origines de l’arrêt de la lobotomie. L’opinion publique américaine, outrée par ces abus et marquée par le film "Vol au-dessus d’un nid de coucous", a progressivement mis son veto à cette pratique à partir de la fin des années 1960.
Une commission parlementaire américaine, au début des années 1970, a accentué ce coup d’arrêt, et ce en dépit des progrès des techniques chirurgicales, qui s’étaient perfectionnées. En effet, avec la stéréotaxie, il était désormais possible d’atteindre un point précis du cerveau et d’éviter les destructions neuronales massives générées par la lobotomie. C’est ainsi que, du milieu des années 1970 au début des années 2000, seuls quelques centres incontestables sur le plan scientifique, tels que Boston, ont continué à faire quelques interventions, parfaitement encadrées sur le plan éthique.
Aujourd’hui, la situation a totalement reviré : depuis quelques années, on revient à la psychochirurgie, notamment par le biais de la stimulation cérébrale profonde. Cette méthode consiste à placer dans le cerveau, avec une précision millimétrique, une électrode, constamment reliée à un petit stimulateur : une sorte de pacemaker du cerveau. Elle permet de remédier avec succès à certaines pathologies, comme les troubles obsessionnels compulsifs et certains syndromes dépressifs majeurs.
L’opération est beaucoup moins destructrice que la lobotomie sur le plan de la personnalité et surtout ses effets sont modulables, puisqu’on peut régler la puissance et la fréquence de la stimulation, mais aussi l’arrêter, ce qui rend le geste réversible. Ces opérations chirurgicales ne sont bien entendu jamais considérées en première intention, mais seulement après avoir essayé des traitements médicamenteux et psychothérapiques.(...)
Durant 50 ans, 84 % des lobotomies furent réalisées sur des femmes, en France, Belgique et Suisse
Une étude, menée par trois neurochirurgiens français, révèle que sur 1129 patients lobotomisés entre 1935 et 1985 en Belgique, en France et en Suisse, 84% des sujets étaient des femmes. Un chiffre qui montre combien les discriminations et les préjugés liés au genre influencent les pratiques médicales et comment la psychiatrie s’insère dans les rapports de domination. (...)
La psychiatrie avait pour mission de gérer « les insupportables » comme les suicidaires, les imprévisibles, et cela dans un rapport de pouvoir duquel les femmes étaient exclues. (...)
Qui viendra la plaindre ? « C’est l’une des clés de la lobotomie explique David Niget, maître de conférence en Histoire à l’université d’Angers et chercheur au Laboratoire CERHIO. Cette pratique était controversée, mais l’absence de consentement d’une femme ou d’une jeune fille était moins grave que pour un homme, qui par ailleurs pouvait demander plus facilement une intervention chirurgicale sur son épouse que l’inverse. Et socialement, le corps des femmes est davantage considéré comme disponible à l’expérimentation. »
Un traitement différencié dès l’adolescence
Loin d’être l’unique facteur, cet universitaire, co-auteur avec Véronique Blanchard de l’ouvrage Mauvaises filles (Editions Textuel), rappelle que le tout début du 20 ème siècle est marqué par « une progressive médicalisation de la déviance juvénile féminine ». La science va se conjuguer avec la morale pour renforcer le contrôle de leurs comportements. (...)
« Il ne faut pas toutefois créer l’illusion, qu’avant, la psychiatrie était faite par des barbares non scientifiques qui faisaient un peu n’importe quoi et que nous, comme on se fonde sur la science, on ne fait plus n’importe quoi, insiste Carlos Parada. A la création de la lobotomie, les gens étaient aussi scientifiques, aussi honnêtes que les gens de bonne foi aujourd’hui ». « L’erreur, c’est d’imaginer que la psychiatrie peut se pratiquer en dehors de son temps, conclut-il. Pour les femmes comme pour les immigrés ou pour les chômeurs, on n’est pas à l’abri de voir la psychiatrie s’insérer dans ces rapports de domination et ce n’est pas au nom de la science qu’on sera à l’abri. » (...)