
(...) l’histoire continue. En janvier 2010, un document placé sous les couleurs de la République invitait à penser l’enthousiasme comme notion à enseigner (1). On ne s’y prendrait pas mieux pour torpiller l’histoire. Au passage, on peut rappeler que la mauvaise mémoire du président Sarkozy est aussi notoire que sa méconnaissance de l’histoire. En tout cas, la suppression de l’enseignement de cette discipline en classe terminale administre une preuve supplémentaire d’ignorance. Quant au ministre de l’éducation, il s’est enfermé tel un sélectionneur de football dans un discours justificatif dérisoire, alors qu’il s’agit d’abord de réduire les dépenses publiques.
La géographie n’est guère mieux lotie. Et l’heure est venue de prononcer son éloge, en opposition à l’économisme qui piétine allègrement l’onomastique et les paysages, faisant basculer cet enseignement vers une espèce de discipline hybride.
Les instructions publiées au Journal officiel soulignent que les élèves sont appelés à « utiliser le vocabulaire géographique spécifique ». Si on se reporte au lexique des manuels de seconde, on peut lire : estuaire, mangrove et mousson, à côté d’habitat taudifié, intermodalité, voire autopartage, qui est « le système de location de voitures en libre-service uniquement pour la durée du besoin » — admirons la rigueur implacable de la définition. On a, d’un côté, des mots, de l’autre, du jargon. « Sociétés et développement durable » est l’enseigne du nouveau programme de seconde. Il semble mettre en scène une notion non seulement floue mais aussi assez perfide. En anglais, on dit sustainable development et, dans la définition sobre qu’en donna en 1987 la travailliste norvégienne Gro Harlem Brundtland, il n’y a rien à redire (2). Mais il apparaît que les bien-pensants en ont fait un usage inconsidéré.
(...) Et l’on rejoint la fin de l’Histoire, qui, elle, vient de loin et va de pair avec la fin des idéologies. Elle pose et suppose que le capitalisme est devenu (enfin) l’horizon indépassable de l’humanité. Elle sous-tend une logique imparable : à cette fin de l’Histoire correspond la fin de l’histoire comme matière d’enseignement.(...)
A force, la Révolution française est réduite à la portion congrue. Sur le premier manuel paru après la réforme, on ne sait pas quand ni comment le roi quitte Versailles pour Paris et, malgré un dossier de deux pages sur sa fuite, la fusillade du Champ-de-Mars disparaît du paysage. L’événement est pourtant d’importance : le 17 juillet 1791, la Garde nationale tire sur le peuple venu signer une pétition qui demande la déchéance du roi ; on relève une cinquantaine de morts. Quant à la Terreur, elle se résume à une poignée de lignes. (...)
Les programmes oublient simplement que l’histoire est un récit et que, pour l’historien, « le temps colle à sa pensée comme la terre à la bêche du jardinier (6) ».(...) Wikio