Un droit pour tous ou une assistance pour quelques-uns ?
Ce double étage de la protection sociale (Sécurité sociale et mutuelle) existe depuis la naissance de la « Sécu », en 1945. À l’origine, le Conseil national de la Résistance (CNR) se proposait d’instaurer, indépendamment de la situation professionnelle, « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec une gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
(...) Le ministre communiste Ambroise Croizat et le haut fonctionnaire gaulliste Pierre Laroque, fondateurs de l’organisme public, ont dû affronter plusieurs opposants : le patronat, qui, bien qu’affaibli, essayait de limiter l’étendue des dégâts ; les médecins, qui ne voulaient pas que l’on encadre leur liberté de s’installer ou de fixer leurs tarifs ; les mutuelles, qui existaient bien avant la guerre et voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de l’État — et, parfois, de la classe ouvrière.
En témoigne le discours du président de la Fédération nationale de la Mutualité française, lors de l’assemblée générale du 5 mai 1945 (...)
Le compromis de 1945
Les ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945 portant la Sécurité sociale sur les fonts baptismaux sont donc le fruit d’un compromis : elles garantissent les droits des salariés et de leurs familles — certains professionnels restant en dehors (commerçants, agriculteurs, professions libérales) ou gardant leur propre caisse (cheminots, électriciens, etc.) — et elles admettent le principe d’un ticket modérateur, non remboursé par l’assurance-maladie, tout en envisageant de le voir s’éteindre (art 49). Un an et demi plus tard, le 17 mars 1947, est instaurée une loi qui vise explicitement à modifier l’ordonnance du 4 octobre 1945 « dans l’intérêt de la mutualité française ». On ne saurait être plus clair. « Dans la bataille menée par les mutuelles, celles-ci remportent une victoire — qui sera aussi une victoire des assurances lorsqu’elles pourront assurer la protection complémentaire santé », note M. Tabuteau. Les conséquences ne se mesureront que bien plus tard.
Il reste que, politiquement et socialement, la création la Sécurité sociale marque une rupture avec les siècles passés. Elle définit des droits articulés autour de quatre solidarités indissociables : entre les plus aisés et les plus pauvres, mais aussi entre les bien-portants et les malades, entre les actifs et les retraités, entre les ménages avec enfants et ceux qui n’ont pas (10). C’est ce qui fait sa force. De plus, elle instaure un système démocratique inédit : l’élection par les assurés eux-mêmes des conseils d’administration, qui comprennent deux tiers de représentants des salariés (11).Il reste que, politiquement et socialement, la création la Sécurité sociale marque une rupture avec les siècles passés. Elle définit des droits articulés autour de quatre solidarités indissociables : entre les plus aisés et les plus pauvres, mais aussi entre les bien-portants et les malades, entre les actifs et les retraités, entre les ménages avec enfants et ceux qui n’ont pas (10). C’est ce qui fait sa force. De plus, elle instaure un système démocratique inédit : l’élection par les assurés eux-mêmes des conseils d’administration, qui comprennent deux tiers de représentants des salariés (11). (...)
Une « Sécu » de plus en plus écartée
Les gouvernements successifs s’attacheront à miner ces deux caractéristiques fondamentales. Du côté des soins, on va assister à une baisse continue des prestations : instauration du forfait hospitalier ; déremboursement des médicaments dits « de confort », dont la liste ne cessera de s’allonger (on parle maintenant de médicaments « à faible efficacité ») ; forfait pour les consultations médicales ; non-relèvement des forfaits pour les lunettes et les soins dentaires ; etc. (...)
Les entreprises déresponsabilisées
S’agissant du financement, les mêmes vont s’acharner à réduire la part des cotisations sociales, en exonérant le patronat — la palme revient à M. François Hollande et à M. Macron, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et ses 40 milliards d’euros d’exonérations — et en créant en 1990 la Contribution sociale généralisée (CSG), un impôt décidé par l’État qui représente désormais près du quart des recettes. (...)
La lente marche vers l’étatisation
Du côté de la démocratie, le pouvoir de droite va rapidement ramener le nombre de représentants des salariés à égalité avec ceux du patronat. À partir de 1962, il supprime les élections des administrateurs, qui feront un rapide retour en 1983 avant de disparaître corps et biens. Entre-temps, en 1967, est créée une Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) qui chapeaute les caisses toujours gérées paritairement. La loi du 13 août 2004 leur supprime tout pouvoir et le transfère à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), dont la direction est nommée par le gouvernement. Exit les représentants des salariés, qui n’ont plus qu’un rôle consultatif. L’étatisation est en marche.
Le pari des mutuelles
Dans le même temps, les complémentaires — assurances et mutuelles — vont gagner du terrain et étendre leurs prérogatives. (...) Dans la compétition avec les assurances privées, les mutuelles ont perdu des plumes (...)
les mutuelles occupées à concurrencer les assurances privées éprouvent de plus en plus de difficultés à faire vivre leurs centres pluridisciplinaires, hier innovants. Elles peinent à renforcer la prévention, dont le champ mérite pourtant d’être étendu si l’on veut stopper l’extension continue des maladies chroniques.
C’est pour contrer cette dérive que certains veulent promouvoir un remboursement à 100 %, en intégrant les activités d’assurance santé des complémentaires au sein d’une Sécurité sociale rénovée. Pour revenir à l’esprit et la lettre du CNR, version XXIe siècle. Il n’y aurait alors plus de distinction entre les assurés classiques et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU et CMU-C), si souvent stigmatisés ; celle-ci pourrait ainsi disparaître. Le droit serait le même pour tous.