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club de Mediapart/ Mathieu Bellahsen Psychiatre et auteur
Psychicide 3 + Pétition
#Psychologues #psychananlyse #amendement159
Article mis en ligne le 1er décembre 2025
dernière modification le 29 novembre 2025

Le milieu psy s’est mobilisé avec succès contre un amendement anti-psychanalyse présent dans le PLFSS 2026. La deuxième manche arrive le 16 décembre, encore au Sénat, avec un projet de loi en faveur des centres experts du lobby Fondamental en dépit d’études biaisées.

Les affaires humaines sont compliquées, parole d’être humain. A la fin de cette séquence « amendement 159 », la sénatrice qui le portait a expliqué devant le Sénat la raison de son combat contre la psychanalyse, incarné pour elle par une rencontre avec un psychanalyste. Enfin, pas elle directement. Elle en a pleuré d’émotion, le trauma toujours là, visible. La colère aussi.

Amendement 159 / Loi centre experts : même combat

L’amendement 159 proposait de définancer tout ce qui touche de près ou de loin à la psychanalyse. La représentante du gouvernement n’a pas désavoué la démarche, le cadre était juste inadapté. Ce n’est donc que partie remise pour trouver le bon cadre... Et c’est la même sénatrice, Mme Guidez, avec d’autres qui soutiendra une proposition de loi en faveur des centres experts, structures qui font du tri, du diagnostic et qui au-delà de leurs recommandations ne s’occupent pas de personne ensuite, dans la durée. Donc un diagnostic dépris de toute relation de soins.

La proposition de loi a été déposée en février 2025 au Sénat. La première lecture aura lieu le 16 décembre prochain. Après l’amendement 159 qui visait à exclure une pratique, ce nouveau projet de loi s’attaque frontalement à l’organisation des soins psychiatriques, nouvelle réforme établie sans la moindre concertation ni avec les usagers, ni avec les syndicats de psys, ni avec les professionnels du terrain. Une pétition vient d’être lancée par l’Evolution Psychiatrique. Ce projet de loi entend faire basculer la psychiatrie vers une vision cérébrologique hégémonique. (...)

Humilité

Mais revenons sur les motivations de la sénatrice qui se retrouve au croisement des deux textes. Elle a expliqué que sa propre sœur avait eu un enfant atteint d’un syndrome de Rett. Cette maladie génétique rare liée au chromosome X crée un trouble neuro-développemental, au sens strictement neurologique du terme, et non au sens extensif de ce que sont devenus les troubles du neurodéveloppement à partir de 2010 sous la pression du DSM 5 et de la cérébrologie.

L’histoire remonte à trente ans, quarante ans en arrière. Une personne décrite comme psychanalyste aurait eu une attitude inadaptée, des questions blessantes et non ajustées. Et pour finir des propos culpabilisants. La psychanalyse s’est ici incarnée dans ce psychanalyste et la mauvaise rencontre que cela a constitué pour cette famille. Car il y a des paroles qui ne s’oublient pas, qui font mal, qui blessent inutilement. Reconnaissons-le humblement, aucun professionnel, quelque soit son orientation technique n’est à l’abri de cela. Tout comme aucune théorie n’est à l’abri de la culpabilisation voire du renversement de la responsabilité des troubles sur la personne, sur la famille ou sur l’enfant qui ne va pas bien (...)

Débordements

Nous travaillons avec la souffrance humaine et parfois, elle nous impacte tellement que nous développons des contre-réactions. Elle peut tellement nous troubler que nous pouvons dire des choses qui ne vont pas, qui ne vont vraiment pas. Parfois, on s’enferre dans cette mécanique infernale car nous possédons le savoir, en tout cas un certain savoir ou supposé comme tel. Il est des circonstances où nous ne voulons ni être mis en question ni nous remettre en question. On s’abrite derrière ce savoir qui nous protège de nos défaillances bien humaines. Mais en réalité, on s’abrite derrière notre pouvoir, notre pouvoir symbolique, notre pouvoir réel. Notre pouvoir qui peut mettre au silence, qui peut faire taire toute contestation. Et les personnes en face, elles le sentent, elles le voient, ça les sidère car on a déjà dû leur faire le coup un certain nombre de fois. (...)

Et en fait, notre boulot de soignant, de thérapeute, dans ces cas-là c’est quand même de se retourner sur nous-mêmes et de faire savoir aux personnes que l’on s’est absenté de notre rôle de soignant par connerie, par impatience, par suffisance. Parfois on se fait déborder par l’autre, ses failles faisant écho aux nôtres, on se fait déborder par nos propres vies, par l’institution, par tout un tas de trucs. Parfois on n’arrive pas assez à se retenir. Mais notre boulot, pour ne pas rajouter de la saloperie à la saloperie (...)

Primum non nocere. L’accueil, l’hospitalité, le contre-transfert, sont premiers dans la construction d’une relation, que l’on se réfère ou non à la psychanalyse. La façon dont le soignant s’adresse pour la première fois à la personne, comment il l’écoute ou non, comment il lui parle, le ton de sa voix, les questions qu’il pose, les réponses qu’il donne ou non. (...)

Dans toutes ces situations, ce qui se joue c’est un rapport problématique du soignant, des institutions, à l’angoisse. Comment la supporter ? Un rapport aussi à notre propre impuissance. Parfois, on n’y arrive pas et ce n’est pas seulement, voire pas du tout, la « faute » du patient. Par moment, il faut accepter que l’on ne sait pas, que l’on ne sait pas faire, que c’est angoissant. Parfois, il faut supporter cette impuissance, le temps que ça se débloque. Et ne pas projeter la faute sur l’autre. (...)

Les violences médicales et psychologiques dépassent ces frontières-là. Elles peuvent se faire au nom de la psychanalyse, au nom de la médecine, au nom de la psychologie, au nom du bien des personnes. Elles peuvent se faire en toute bonne conscience sans que l’on s’en rende compte. Elles peuvent se faire au nom de la science. Au nom de n’importe quoi en fait.

Et puis le terme « psychanalyste » est devenu un synonyme générique de « professionnel de santé qui culpabilise les parents ». Cela peut aussi être un pédiatre, un psychologue clinicien ou un psychiatre qui n’est pas forcément orienté par la psychanalyse... Dans l’histoire racontée par la sénatrice, difficile d’en dire plus sans en causer aussi avec les premiers intéressés : l’enfant et ses parents. La sénatrice est la sœur de cette femme, la tante de cet enfant. Il faut prendre soin de distinguer ce qui est rapporté de façon directe ou indirecte. En somme, contextualiser pour tenter de comprendre. (...)

« On te croit »

Le vécu et le ressenti doivent être crus puisqu’un vécu ça ne se discute pas, c’est vrai pour la personne. Le slogan féministe « on te croit » est une boussole. En tant que psychiatre, quand quelqu’un délire, c’est une prise de position : « je te crois ».

Et de rajouter que croire ce n’est pas forcément synonyme d’être convaincu sinon on peut tomber dans un certain nombre de travers qui évacue la densité, la complexité des situations (cf. le livre « Faire Justice » d’Elsa Deck Marceau à la Fabrique). Croire est le premier mouvement d’accueil et d’hospitalité de la parole d’autrui pour qu’un partage puisse se faire.

Donc je crois le récit de la sénatrice car il faudrait être drôlement tordu pour inventer une telle histoire à des fins idéologiques. Mais je ne suis pas convaincu par le lien direct, exclusif, qui est fait. Et je suis d’autant moins convaincu que trois semaines plus tard, elle co-signe un projet de loi pour torpiller l’ensemble du système de soins en définançant ce qui soigne pour financer ce qui trie via la loi sur les centres experts (L’embellissement de la communication de FondaMental à coup d’arguments scientifiques de ces centres est paru dans le Monde : ici.)

Diagnostic différentiel

(...)

Personnellement, je l’ai raconté dans un billet précédent, j’ai aussi connu la violence de psychanalystes à la petite semaine qui se servaient de leur place, de leur savoir, pour imposer un pouvoir normatif. Collectivement, dans un lieu où je travaillais, nous avions aussi connu la tentative de silenciation d’abus graves au nom d’un savoir pseudo-émancipateur. Mais j’ai aussi connu des saloperies au nom du cerveau-différents-des-patients, au nom de leurs comportements inadaptés, au nom de leurs déficits cognitifs auxquels on ne peut pas grand-chose. Plusieurs costumes pour un même corps : le corps psychiatrique avec ses relents asilaires…

Le principal problème c’est bien le défaut d’empathie voire de sympathie, de souffrir avec l’autre. Plus que la psychanalyse, c’est la question du tact du professionnel qui est en jeu. (...)

avec ou sans psychanalyse, le pouvoir des professionnels du haut de leur savoir, peut mutiler. On se rappellera de la psychiatrie gynécologique du XIXème siècle où les femmes subissaient des mutilations au nom de la science. Il faut lire Carlo Bonomi « L’effacement du traumatisme. Aux origines de la psychanalyse » pour comprendre que soigner par la parole quand c’est possible (« la talking cure »), c’est tout de même moins délabrant que de « soigner » en amputant les femmes et les enfants de tel ou tels attributs, au nom de la science. Le mieux ça serait de ni dire de connerie, ni faire de saloperie mutilante. De toujours reconnaître la personne en tant que personne.

Maintenant, faisons une petite analyse politique de la situation. FondaMental voudrait l’hégémonie depuis une quinzaine d’années. Son argument privilégié : la psychiatrie ne souffre pas d’un problème de moyens mais d’organisation. Un vrai mantra. Maintenant, FondaMental promet de faire une masse d’économie avec les centre experts (embelissement donc…). Parce que le fond du problème, pour eux, c’est « le fardeau économique » que représente la mauvaise santé mentale (...)

madame la sénatrice utilise des vieux trucs (bon, remarque, on est au Sénat) comme arguments scientifiques (le rapport INSERM de 2004). Et en plus, pas un mot sur les potentiels conflits d’intérêts des uns avec les autres.. Sur la vidéo, on voit Alain Milon au premier rang, ancien administrateur de FondaMental de 2011 à 2015. Ce sénateur Les républicains m’avait d’ailleurs invité au Sénat pour parler de la contention (...)

Si le monde qui tient à la psychanalyse se félicite du retrait de l’amendement 159, l’affaire est loin d’être terminée. Et au-delà de la psychanalyse, c’est la question du service public qui est posé avec son démantèlement. Les centres experts lié à l’Institut Montaigne via FondaMental en sont l’une des potentielles figures.

A suivre.

Pétition Contre le démantèlement de la psychiatrie publique - contre le projet de loi N°385.