
La Cour européenne des droits de l’homme doit faire connaître son verdict jeudi 11 juin dans l’affaire Baldassi, un militant du mouvement Boycott-Désinvestissement-Sanctions de Mulhouse dont la condamnation par la cour d’appel de Colmar avait été confirmé en cassation. Si elle est défavorable à la France, cette décision marquerait la fin de la criminalisation des actions militantes de boycott dans ce pays qui fait figure d’exception dans le monde.
Souvent, lorsqu’on parle du « droit » à des militants, on les ennuie. Mais ceux de Mulhouse soutenant la campagne « Boycott-Désinvestissement-Sanctions » (« BDS ») contre Israël se sont pourtant approprié l’outil juridique pour se défendre et combattre les dérives de l’autorité publique. L’affaire Baldassi (du nom d’un des militants du BDS) commence le 26 septembre 2009. Des militants pénètrent dans un magasin Carrefour à Illzach, près de Mulhouse dans le Haut-Rhin. Ils appellent au boycott des produits israéliens, portent des tee-shirts avec le slogan « Palestine vivra/Boycott d’Israël » et distribuent des tracts aux clients : « Acheter les produits importés d’Israël, c’est légitimer les crimes à Gaza, c’est approuver la politique menée par le gouvernement israélien ».
D’autres tracts listent les produits visés, et une pétition est proposée à la signature des clients. Des chariots sont remplis de produits importés d’Israël. Ceux-ci sont soigneusement replacés dans les rayons par la suite. Aucune dégradation n’est commise et, faut-il le préciser, aucun propos antisémite prononcé. Une action similaire a lieu le 22 mai 2010. Carrefour dépose plainte contre douze militants, puis se retire, mais des associations de défense des intérêts israéliens et juifs se constituent partie civile
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De lourdes condamnations en appel (...)
Ces procédures judiciaires s’inscrivent dans le cadre d’une volonté politique visant à mettre fin à la campagne BDS. Elle fut lancée le 9 juillet 2005 par 171 organisations de la société civile palestinienne, avec comme objectifs la fin de l’occupation israélienne, le démantèlement du mur de séparation, la reconnaissance de l’égalité entre les citoyens arabo-palestiniens d’Israël et les citoyens juifs d’Israël, la fin du blocus de la bande de Gaza et le droit au retour et à l’indemnisation des réfugiés palestiniens. Les organisations palestiniennes prônent pour ce faire trois moyens qui constituent le nom du mouvement : un boycott d’Israël dans de larges domaines, des désinvestissements économiques, et des sanctions juridiques et politiques à son encontre. En France, la campagne BDS n’est relayée par des associations qu’à partir de mars 2009, en réponse à l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza. (...)
Depuis 2010, plus d’une centaine de personnes ont fait l’objet d’une procédure de police pour avoir appelé au boycott des produits israéliens. Le parquet a décidé, pour la majorité des dossiers, de classer sans suite ou de procéder à un rappel à la loi. Cependant, des dizaines de militants ont fait l’objet d’une procédure devant un tribunal correctionnel. Les plaintes émanent le plus souvent d’associations de défense des intérêts israéliens, ou bien du ministère public. (...)
« Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité », écrivait Jean Giraudoux
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. Mais la Cour de cassation a abusé de cette liberté, et espérons que l’interprétation faite par les militants BDS de la loi pénale sera retenue par la CEDH. Son verdict est attendu jeudi 11 juin avec intérêt.