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LOBBYING ET MÉGAPROFITS : tout ce que les labos pharmaceutiques voudraient vous cacher.
Les « Pharma Papers » seront publiés par volets successifs au cours des mois de novembre et de décembre 2018.
Article mis en ligne le 13 novembre 2018

Influence, opacité, prix exorbitants de certains médicaments, liaisons dangereuses avec les députés et les médecins…
À travers des données inédites, des enquêtes et des reportages, les « Pharma Papers » mettent en lumière tout ce que les labos pharmaceutiques préféreraient que les patients et les citoyens ne sachent pas : les immenses profits qu’ils amassent chaque année aux dépens de la sécurité sociale et des budgets publics en instrumentalisant médecins et décideurs.

L’argent de l’influence

1,5 milliard d’euros dépensés par les labos au profit de professionnels de santé ; 100 millions de dépenses de lobbying en 2017 pour les dix plus gros laboratoires pharmaceutiques au monde… Les chiffres inédits révélés par ce premier volet des « Pharma Papers » donnent le vertige, mais ils sont à la mesure des profits mirobolants accumulés par ces firmes aux dépens des budgets publics et des systèmes de sécurité sociale. (...)

Entre les labos pharmaceutiques et les médecins, 14 millions de conflits d’intérêts potentiels !

En leur offrant gratifications et contrats rémunérateurs, les laboratoires pharmaceutiques ont tissé une dense toile de liens d’intérêts au sein de la profession médicale. Cette influence leur permet de peser sur les prescriptions et les décisions des agences sanitaires. Malgré la succession des scandales, la transparence reste très parcellaire dans ce domaine. En partenariat avec le projet EurosForDocs, nous dévoilons un outil permettant d’y voir plus clair sur ces liens d’intérêts : pas moins de 14 millions de liens ont été répertoriés en France depuis 2012, pour un montant total de plus de 3,5 milliards d’euros versés aux professionnels de santé.

Mediator, vaccination contre le virus de la grippe H1N1, pilules contraceptives de troisième génération, Depakine… Les scandales sanitaires se suivent et se ressemblent. Le dernier en date concerne le Levothyrox : la nouvelle formule de ce médicament destiné à lutter contre les troubles de la thyroïde, lancée par le laboratoire Merck en mars 2017, a provoqué de nombreux effets indésirables. Malgré les déclarations rassurantes de Merck et des autorités de santé, il subsiste des zones d’ombre autour de cette affaire (1). Encore une fois, le manque de contre-pouvoir face au poids du lobbying de l’industrie pharmaceutique est décrié. Et l’indépendance des médecins qui défendent publiquement des médicaments controversés est mise en cause. (...)

rendre les liens d’intérêts visibles et accessibles à tous, pour mettre les professionnels face à leurs responsabilités et pour que les décideurs et les citoyens connaissent mieux les experts qui expriment leur avis. Exemple avec le scandale du Levothyrox. Dans une tribune parue le 28 décembre 2017 dans les colonnes du Monde, cinq endrocrinologues (spécialistes des hormones, notamment thyroïdiennes) dédouanent le laboratoire en pointant un « effet nocebo » (le négatif de l’effet placebo) : selon eux, les effets indésirables ne seraient que de nature psychologique. Avec la base Transparence Santé, il serait assez fastidieux de trouver la trace des éventuels liens d’intérêts de ces professionnels. Heureusement, grâce au nouveau projet EurosForDocs (lire notre article « EurosForDocs, une base de données d’utilité publique »), cela devient beaucoup plus facile. Or, parmi les cinq signataires de cette tribune, un seul n’a pas de lien d’intérêts avec Merck : Xavier Bertagna. Un deuxième, Philippe Bouchard, n’a eu qu’une seule relation financière avec le laboratoire, la prise en charge d’un repas en 2015. (...)

Le problème ne concerne pas tous les médecins, loin de là. La base de données EurosForDocs, sur laquelle nous nous appuyons, donne cependant une idée de la densité des liens d’intérêts tissée par les labos autour de la profession médicale, en particulier avec quelques « influenceurs » privilégiés. Le nombre de ces liens depuis 2012 peut être établi très précisément : près de 14 millions (13 973 071), alors que la France compte 226 000 praticiens ! Le montant cumulé des dépenses réalisées par les laboratoires pour ces professionnels de santé (rémunérations perçues quand ils ont effectué des prestations pour ces laboratoires, frais de transport, de repas, etc.) dépasse 3,5 milliards d’euros (3 557 538 945). Et ce chiffre n’inclut pas les contrats dont le montant a été tenu secret ; or c’est le cas pour 70% du total des conventions, malgré l’obligation en vigueur depuis le 1er juillet 2017.

Même si les données les plus récentes sont mieux renseignées (2), les montants en jeu sont en réalité largement supérieurs. (...)

En novembre 2017, Agnès Buzyn, interrogée à l’occasion d’un rendez-vous de l’association des journalistes de l’information sociale, avait reconnu le problème en soulignant que « les laboratoires qui ne jouent pas le jeu et ne déclarent pas sciemment leurs liens d’intérêts avec les professionnels de santé risquent de lourdes amendes allant jusqu’à 45 000 euros ». Y a-t-il déjà eu des condamnations ? « Pas à ma connaissance », nous avait répondu la ministre. Existe-t-il un responsable chargé de vérifier l’exactitude des informations reportées par les laboratoires ? « Pas à ma connaissance », avait de nouveau botté en touche Agnès Buzyn, qui n’a jamais caché sa réticence à limiter à tout prix les liens d’intérêts entre les experts et les firmes pharmaceutiques. (...)

Le service de communication du laboratoire Bristol Myers Squibb (États-Unis) souhaite nous rappeler qu’« un lien d’intérêts ne constitue pas automatiquement un conflit d’intérêts ». Pourtant, les liens financiers influencent bien le contenu des analyses scientifiques, rappelle le manuel pratique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la promotion pharmaceutique. (...)

« Il existe plusieurs mécanismes psychologiques d’influence, dont le plus puissant, probablement, est la réciprocité, analyse Jean-Sébastien Borde, néphrologue et vice-président du Formindep, une association qui œuvre pour l’indépendance au sein de la profession médicale. C’est une norme sociale dont le moteur est le sentiment inconfortable d’être redevable lorsque vous recevez un cadeau, jusqu’à ce que vous rendiez la pareille. Lorsque le cadeau vient d’un laboratoire pharmaceutique, la réciprocité conduit à favoriser l’intérêt du laboratoire dans ses pratiques. »

Il y a conflit d’intérêts quand les relations nouées avec le laboratoire incitent un professionnel de santé à influencer le processus de décision d’autorisation de mise sur le marché ou la fixation du prix d’un médicament. Il y a conflit d’intérêts quand un médecin manque d’esprit critique quant à ses décisions, aux dépens du patient ; quand il se laisse endormir par les « formations » dispensées par les visiteurs médicaux, qui oublient de mentionner les contre-indications, effets secondaires ou indésirables, comme cela a été le cas avec le médicament antiépileptique Depakine, donné aux femmes enceintes malgré les risques pour le foetus. Il y a conflit d’intérêts quand un docteur inscrit sur l’ordonnance un médicament à mauvais escient, malgré les risques pour le malade. C’est ce qui s’est passé pour le Mediator (...)

La transparence des liens d’intérêts pourrait aussi être un moyen de relancer le débat public sur la santé et le médicament sur de meilleures bases, dans un contexte de diversification des sources d’information, où la multiplication des scandales sanitaires a fait exploser le sentiment de défiance envers les médecins et les laboratoires. (...)

« Les internautes n’ont pas encore le réflexe de regarder qui est derrière un site ou un spécialiste de la santé. Et le risque, sans transparence, c’est la dérive conspirationniste. »