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Recherches internationales / ONU, 70 ANS APRÈS
LE CLIMAT DANS LE DÉSORDRE DU MONDE
Michel Rogalski
Article mis en ligne le 5 octobre 2015
dernière modification le 30 septembre 2015

Les projecteurs sont déjà braqués sur la prochaine
Conférence de Paris consacrée aux mesures à prendre face
à la menace, aujourd’hui largement avérée, de changement
climatique qui pèse sur la planète. Elle se tiendra en décembre à
Paris et ses enjeux sont déjà aussi fortement médiatisés que le furent
ceux de la Conférence de Copenhague réunie en 2009. Elle devra
en effet dresser les contours d’un accord qui définira le régime de
coordination internationale qui succédera à partir de 2020 à celui du
Protocole de Kyoto, adopté en 1997 et entré en vigueur huit années
plus tard, malgré l’absence de ratification américaine.

À l’époque, seuls les pays industriels et les anciens pays de l’Est étaient concernés par les engagements souscrits.
Les pays en développement, au nom du
principe de la responsabilité commune mais différenciée, avaient
bénéficié d’un moratoire et d’une promesse d’efforts allégés. Leurs
contributions devaient démarrer en 2012, mais faute d’un accord sur
ces questions il fut décidé à Copenhague de prolonger le Protocole
de Kyoto pour une nouvelle période d’engagement jusqu’à 2020. En
outre Copenhague décida d’orienter différemment la méthode de
négociations en substituant le principe des contributions volontaires
aux obligations contraignantes, de retenir la proposition du G7, quis’était réuni quelques mois auparavant, recommandant de se fixer
l’objectif de ne pas dépasser une augmentation de la température
moyenne supérieure de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle
et de créer un Fonds vert, devant atteindre un montant de cent
milliards de dollars annuel à l’horizon 2020 et destiné à favoriser
le financement des mesures d’adaptation des pays les plus
pauvres. La Conférence de Cancùn s’est réunie l’année suivante
et a confirmé cette orientation qui sert de cadre à la préparation
de la prochaine Conférence de Paris qui doit établir une nouvelle
architecture climatique internationale dont la forme juridique
reste encore peu précisée.

Dans l’histoire des négociations internationales sur le climat,
Copenhague a marqué un tournant capital en suggérant, pour
surmonter les blocages, de recourir aux contributions volontaires.
Tous les États n’ont pas encore rendu leur copie qui ne sont pas
faciles à décoder : les engagements ne font pas référence aux
mêmes dates, ou ne s’inscrivent pas dans la même logique, les uns
s’engageant sur des obligations de résultats (réductions chiffrées
d’émissions de gaz à effet de serre), d’autres, plus prudemment, sur
des obligations de moyens (réduction de l’intensité énergétique).
Des États comme la Chine et l’Inde qui connaissent de forts
taux de croissance et n’entendent pas brider leur trajectoire de
développement préfèrent miser sur la baisse de leur intensité
énergétique ou la décarbonisation de leurs énergies, évitant ainsi
d’altérer leur taux de croissance, voire pour l’Inde de s’attaquer à
sa démographie. À quelques mois de la Conférence de Paris toutes
les « contributions » sont loin d’être connues, mais sur la base de
ce qui a été déjà recueilli on peut tenir pour certain que la somme
des engagements volontaires ne sera pas suffisante pour satisfaire
aux exigences de la cible du réchauffement maximum retenu. Cet
objectif de 2°C, choix diplomatique, sera donc certainement revu à
la hausse dans les prochaines décennies. Les modèles climatiques
qui tournent actuellement anticipent déjà une hausse plus près de
4°C que de 2°C. Il s’agit donc aujourd’hui de construire un régime
climatique universel qui permette la participation effective de
tous les pays en développement dispensés jusqu’alors d’efforts et
d’acter l’entrée des États-Unis qui avaient sous trois présidences
refusé de ratifier le Protocole de Kyoto.

Cette universalisation est nécessaire parce qu’en une
vingtaine d’années le monde s’est métamorphosé et ne ressemble
plus à ce qu’il était. L’Asie s’est affirmée et tire l’économie mondiale.
La Chine est devenu l’atelier du monde et se place en tête des
pays émetteurs de gaz à effet de serre suivie des États-Unis. Leur
rôle sera leader lors de la Conférence de Paris car avec l’Inde leur
influence sur l’évolution du climat est décisive. En novembre 2014,
ces deux pays ont rendu publique une déclaration conjointe fixant
leurs objectifs quant au climat. À eux deux, ils représentent 42 %
des émissions de CO2 de la planète. Le fait que ces deux pays,
souvent opposés dans les négociations climat, agissent de concert
et s’engagent volontairement, l’un sur un montant de réduction,
l’autre sur un pic maximum, donc sur une trajectoire, indique
qu’ils joueront un rôle central dans la Conférence de Paris et qu’ils
seront en mesure de s’opposer à l’adoption d’un mécanisme de
mesures contraignantes qu’ils ont toujours rejeté.

Car ce qui est le plus à craindre, et risque de conduire à
l’échec, c’est la croyance que le processus de mondialisation
serait déjà suffisamment avancé et qu’il n’y aurait plus qu’à
doter la planète d’une « globale gouvernance » qui imposerait
ses oukases à tous les États. Ce serait bien vite oublier la réalité
d’un monde où des zones grises, en plein chaos, se multiplient
et dont la principale menace perçue n’est pas le climat, mais tout
ce qui affecte les conditions de survie au quotidien. Du Moyen-
Orient au Sahel la mondialisation et les conflits ont sapé les bases
de toute souveraineté et ont fabriqué des États incapables de
s’engager internationalement ou d’appliquer des accords signés.
Ces territoires faillis et dévastés que leurs habitants cherchent à
fuir en masse ne peuvent déjà plus satisfaire aux exigences d’une
coordination internationale. La Conférence de Paris sera donc
marquée par le profond désordre qui travaille le monde.
Dans un tel contexte, on doit se montrer réservé à l’égard
de toutes normes imposées indistinctement à tout État
indépendamment de sa situation. Toute recherche d’un prix
uniforme du carbone (sous forme de taxe ou d’un marché mondial
des permis) relèverait d’une velléité inefficace, tant sont grands
les écarts de richesses entre pays ou l’actuelle instabilité des prix
pétroliers. Les coopérations régionales entre pays comparables
rencontrant les mêmes problèmes doivent être privilégiées. Elles
peuvent se développer sans être chapeautées par la Conférence
de Paris. Des réseaux entre grandes villes du monde à la recherche
d’un bas profil énergétique se sont déjà constitués. Les initiatives locales décentralisées peuvent jouer un grand rôle dans la
préservation du climat.
Mais les pays du Nord seront eux-mêmes attendus sur leur
capacité à abonder le Fonds vert à l’horizon 2020 comme ils s’y sont
engagés lors de la Conférence de Copenhague. Ce Fonds a pour but
d’aider les pays les plus pauvres à s’adapter aux conséquences du
changement climatique. Pour l’instant on ne sait rien de l’origine,
de la destination ou de l’usage des fonds à réunir : détournement
d’aide publique au développement ? Fonds privés ? Prêts ? Le
flou est total sur ce montant annuel de 100 milliards de dollars.
On peut s’attendre à des controverses houleuses au moment
des comptes, c’est-à-dire en 2020 lorsque l’accord signé devra
entrer en vigueur. Nul doute qu’elles nourriront les hésitations
de certains à s’engager plus loin.

La problématique climat soulève un grand défi.

Aujourd’hui le consensus existe sur le fait que la tendance au réchauffement
climatique est certaine et qu’au-delà d’un certain seuil des
perturbations irréversibles affecteront l’écosystème planétaire.
L’espèce humaine appartient à cet écosystème et sera menacée
dans son mode de vie, voire dans sa survie. Il existe donc une course
de vitesse entre le réchauffement et l’adoption de mesures allant
dans le sens d’une société sobre en énergie et décarbonnée. Plus
on disposera de temps avant d’atteindre ces seuils irréversibles,
plus les moyens seront mobilisables pour faire face, plus de
nouvelles sources énergétiques pourront être découvertes. Plus
tôt on agira pour retarder ces seuils, plus on se donnera des marges
de manoeuvre.

Les mobilisations seront nécessaires car nous
savons que la décarbonisation énergétique qui est au coeur de
toute politique de transition énergétique cristallise des rapports
d’intérêts et met en mouvement des lobbies puissants. Le climat
est aujourd’hui considéré à juste titre comme un bien commun à
toute l’humanité et s’inscrit dans l’urgence. Cette notion impose
de travailler avec tous et bannit la perspective de rassemblement
minoritaire. On peut considérer que le capitalisme porte une
responsabilité écrasante dans le dérèglement climatique. Le
dénoncer peut avoir un fondement, mais l’urgence implique de
travailler avec tous, y compris avec ceux qui ne sont pas disposés
à brandir un passeport antisystème.

La difficulté à avancer tous ensemble trouve sa source dans
la perception du temps qui n’est pas la même au Nord et au Sud, chez les riches ou les pauvres. Ce qui compte ce n’est pas la
menace mais sa perception. Et elle est différente dans un monde
qui n’est pas un et qui n’est pas un village-planétaire. Au sud, le
climat est perçu comme un problème de riches, de ceux qui ayant
déjà surmonté les difficultés de la survie quotidienne, peuvent
se projeter dans l’avenir, y compris celui des générations futures.
Il appartient à ceux qui peuvent valoriser le futur et déprécier le
présent. À ceux qui ont des biens à préserver. Pour des milliards
d’hommes de la planète, l’urgence c’est encore le présent et le
quotidien, c’est de savoir où trouver le bois de feu pour faire
cuire le riz du soir, et non pas de savoir si l’eau de la piscine aura
le temps de chauffer pour accueillir les petits-enfants le weekend
prochain. Ces deux humanités vivant sur la même planète
engendrent une contradiction entre solidarité spatiale et solidarité
temporelle – le climat relève de la seconde.

Des moyens considérables devront être mobilisés.

Comment
imaginer, alors que les objectifs du Millenium sont loin d’être
atteints, que tous ceux qui sont victimes, ici et maintenant, des
pires maux qui frappent la planète – 2 milliards de personnes
vivent dans l’insécurité alimentaire, sans savoir si elles mangeront
demain ; 1,2 milliard n’ont pas accès à l’eau potable ; d’autres
ne sont pas raccordées à un réseau électrique – accepteront
facilement que soient « détournés » ces moyens au bénéfice de
générations futures, alors que la question qu’ils affrontent est
celle de leur survie au quotidien. Vouloir les associer au sauvetage
du climat sans satisfaire dès à présent leurs besoins pressants les
plus essentiels ne saurait conduire qu’à l’impasse.