
Ce trajet entre sa maison et le cimetière de Rafah, Talal al-Shaer l’a déjà fait des dizaines de fois. Quelques rues à peine le séparent de l’endroit où son fils a été enterré le 18 décembre dernier. Mohammed avait 22 ans. Il est mort noyé quelque part en Méditerranée, au large de la Tunisie, alors qu’il tentait de rejoindre l’Italie pour entrer en Europe. « Mon fils est parti dans l’espoir de trouver une vie meilleure, souffle ce père en nettoyant délicatement la tombe, mais il n’a pas eu la chance de survivre. C’était son destin. »
Dans la bande de Gaza, comme en Syrie, en Irak ou encore au Liban, l’exil vers l’Europe se prépare en famille, entre amis. Souvent, ce sont de très jeunes hommes qui prennent la route en groupe, avec un objectif : entrer dans un pays de l’Union européenne. Mohammed, le fils de Talal, a quitté Rafah avec son jeune frère en février 2022. Maher aussi est mort noyé, il avait 18 ans. (...)
Selon l’agence de presse palestinienne Wafa, plus de de 360 Palestiniens sont morts en mer en 2022. Un chiffre très probablement sous-estimé car sur la route de l’exil vers l’Europe, de nombreuses migrantes et migrants disparaissent dans les forêts bélarusses, en traversant un fleuve pour entrer en Bulgarie, ou en Méditerranée. Sans corps, leurs familles ne signalent jamais leurs décès ; ils ne sont jamais comptabilisés.
Il n’existe pas non plus de données précises sur le nombre de Gazaoui·es qui ont rejoint ou tenté de gagner l’Europe par l’entremise de réseaux de passeurs, mais 36 000 habitants et habitantes de l’enclave palestinienne, sous blocus, ont choisi l’exil ces cinq dernières années, estime le centre de recherche Masarat de Gaza. Impossible, en revanche, de savoir s’ils ont réussi à obtenir le statut de réfugié au sein de l’Union européenne.
S’échapper d’une prison à ciel ouvert (...)
ce phénomène n’est pas nouveau mais touche de plus en plus de jeunes qui cherchent à quitter la bande de Gaza. Des hommes surtout, les femmes réussissant à obtenir relativement plus facilement des visas étudiants, des bourses d’études ou des invitations à participer à des conférences dans des pays européens. Une fois sur place, très peu décident de revenir dans l’enclave.
Chaque nouvelle offensive israélienne pousse la jeunesse vers la sortie. (...)
Aujourd’hui, pour échapper au blocus israélien qui les étouffe depuis plus de 15 ans, les candidats et candidates au départ font appel à des réseaux de passeurs, des trafiquants d’êtres humains sans scrupule. (...)
« Nous suivons tous ces voyages mais nous ne pouvons pas les arrêter, précise Ahmed al-Deek, conseiller au ministère palestinien des affaires étrangères et des expatriés, au site Independent Arabia. Les gangs de trafiquants d’êtres humains sont derrière ces immigrations illégales. Ils exploitent les jeunes de Gaza et leur font payer des sommes d’argent exorbitantes. Pour que cette tragédie ne se reproduise pas, tout le monde devrait s’abstenir d’utiliser ces méthodes illégales, et faire en sorte de ne pas tomber dans le piège de ces marchands de la mort. »
Dans l’enclave palestinienne, 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage avoisine 50 % et dépasse 62 % chez les jeunes. (...)