
L’Office national des forêts est au bord de la faillite. Délaissé par les pouvoirs publics, l’établissement se tourne de plus en plus vers des capitaux privés pour financer une partie de ses missions d’intérêt général. Des entreprises peu scrupuleuses de l’environnement, comme Total, HSBC ou Ikea, entrent dans les bois. Au grand dam des forestiers.
On connaissait déjà les publicités de luxe sur les monuments historiques, les affiches clinquantes de mannequins Dior ou celles du tout dernier iPhone sur les façades de musées. Voilà que les logos des grands groupes pourraient aussi recouvrir l’entrée des forêts françaises. Après le mécénat culturel, les entreprises privées se lancent à la conquête de notre patrimoine naturel, à grand renfort de communication et d’une générosité, pour le moins, calculée.
Au cœur du massif d’Ermenonville, dans l’Oise, les lettres rouges de la banque HSBC sont gravées à proximité d’une zone humide que la multinationale a restaurée. À l’orée de la forêt de Pennes-Mirabeau, dans les Bouches-du-Rhône, des pancartes indiquent les actions pédagogiques menées par les laboratoires Guigoz à l’attention des enfants. Sur la route forestière de Loudéac, dans les Côtes-d’Armor, c’est un crapauduc qui a été bâti grâce aux dons de la Société générale pour protéger les batraciens. Au nord de Nantes, Ikea finance aussi la création d’une application téléphonique pour découvrir un verger conservatoire.
Accueil de visites scolaires, restauration de sentiers pédestres, préservation de la biodiversité, plantation d’arbres… Dans les bois, les actions soutenues par des entreprises privées se multiplient. Et pour cause : l’Office national des forêts (ONF) — l’établissement qui gère le domaine public forestier, soit 25 % des forêts françaises — est en proie à de graves difficultés financières. Son endettement atteint 450 millions d’euros et son déficit s’accroît chaque année, malgré les baisses d’effectifs et l’augmentation des coupes de bois. (...)
L’office est sommé depuis 2016 par ses ministères de tutelle de trouver « des financements innovants », dont le mécénat. L’ONF a ainsi créé en novembre 2019 un fonds de dotation, « Agir pour la forêt », afin de structurer et d’amplifier son activité de collecte de dons. (...)
« Le service public forestier est réduit à la mendicité »
Cette situation provoque l’ire des forestiers. « Plutôt que de feindre la générosité et de jouer les dames patronnesses, ces entreprises feraient mieux de payer leurs impôts en France », écrit la CGT dans un communiqué, rappelant que Total, grâce à son optimisation fiscale, ne paye quasiment aucun impôt sur les sociétés, que HSBC a organisé la fraude fiscale de plus de 3.000 Français en Suisse et qu’en 2014, la Société générale possédait 139 filiales dans des paradis fiscaux.
« On a réduit notre service public à la mendicité. On a vendu notre image de marque et nos savoir-faire à des multinationales qui s’en servent pour faire du greenwashing (écoblanchiment) », soupire Loukas Bénard, un garde forestier syndiqué à la CGT. Pour lui, ce phénomène participe à « la privatisation rampante » de l’Office (...)
Sur le terrain, la colère se mêle parfois à l’incompréhension. Certains chantiers organisés avec les entreprises sont jugés « absurdes » : « Pour vingt compteurs Linky posés, Enedis offre un arbre à l’ONF. Avec des collègues, on s’est retrouvés à planter des centaines d’arbres au bord d’une autoroute, ça n’avait aucun sens d’un point de vue sylvicole », raconte un ouvrier forestier en Savoie. (...)
Au Snupfen — le syndicat majoritaire de l’ONF —, on s’inquiète : « Le jour où le financement des services publics sera en partie assuré par le monde de l’entreprise, des industriels et des lobbies, tous ces acteurs ne se contenteront pas de payer et de faire de la communication, ils commenceront à influer sur la politique du service public, analyse le porte-parole Philippe Canal. Nous devons rester indépendants. Nos missions d’intérêt général doivent être financées par le budget général de l’État, en toute transparence et votées par le Parlement, c’est le fonctionnement de notre République ».
« Total finance des arbres pour faire oublier l’immense bioraffinerie à base d’huile de palme qu’ils veulent construire » (...)
La direction de l’ONF, elle, ne voit pas le problème. (...)