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J’étais à Calais quand mon téléphone a sonné"
Pascale Ferran Collectif Appel de Calais 20 nov. 2015
Article mis en ligne le 22 novembre 2015

(...) En d’autres circonstances, comme de nombreux habitués, j’aurais pu être au Petit Cambodge, mais vendredi soir je n’étais pas à Paris. C’est donc de loin que j’ai partagé l’incrédulité puis l’effroi, l’inquiétude pour les amis puis l’incommensurable chagrin.

Je n’étais pas à Paris parce que j’étais partie le matin même à Calais.
Suite à l’Appel des 800, je voulais rencontrer des migrants dans la jungle, voir la situation sur place, témoigner.

Témoigner, après tant d’autres, des conditions de vie ou de survie réservées à ceux qui vivent là-bas. Rencontrer quelques uns de ces réfugiés, parmi les milliers qui sont en train de s’installer dans un entredeux provisoire qui dure au-delà du supportable. Dire les myriades de tentes, souvent minuscules, jetées en plein vent ou sous la pluie battante de novembre. Les matelas de fortune posés à même le sol sur la boue ou sur des palettes de bois qui isolent un peu de l’humidité.

De nombreux toilettes ont été installées depuis que l’État Français y a été contraint par le jugement de la juridiction de Lille. Il y a 3 ou 4 points d’eau avec plusieurs robinets en batterie devant lesquels les gens se lavent les mains ou les pieds. Ils y prennent de l’eau pour boire, pour faire la vaiselle, pour laver leurs affaires, pour faire leur toilette à l’abri des regards. L’eau est glacée mais précieuse. Pas de douche, pas d’eau chaude, pas d’électricité, sinon par quelques groupes électrogènes installés par les migrants eux-mêmes (...)

Les détritus s’accumulent, surtout lorsqu’on s’éloigne des allées principales du campement. Il y a une équipe de 7 ou 8 personnes qui les ramassent depuis lundi dernier, mais je ne suis pas arrivée à savoir par qui ils étaient missionnés : la préfecture ? La mairie ? Ils ne le savent pas eux-mêmes, étant payés par une boite d’intérim. Ils font du mieux qu’ils peuvent, mais c’est le tonneau des Danaïdes. Ils racontent, furieux, en colère, la misère des réfugiés, l’insalubrité, le froid, le manque d’argent qui freine la distribution des repas. Ils remercient les migrants qui régulièrement viennent les aider à nettoyer une zone après une autre. (...)

Tout cela est terrible. Et c’est difficile de savoir ce qui ici choque le plus : des traumatismes individuels racontés d’une voix douce par tel ou tel exilé ou de la violence exercée sur eux à titre collectif par le refus de l’Etat d’améliorer réellement leurs conditions de vie sur place.

Il y a donc un scandale à Calais. Le plus notable peut-être étant le manque d’information. Les réfugiés sont laissés à eux-mêmes, sans aucun endroit où venir s’informer, à l’exception d’une tente tenue par des bénévoles anglais. (...)

Il y a aussi des clôtures surmontées d’hameçons, de grands hameçons pour de grands poissons, des centaines, des milliers d’hameçons, pour que les mains qui voudraient passer par dessus se plantent dedans et n’en ressortent pas. Ces clôtures-là encerclent les usines chimiques qui bordent le camp et le polluent.

Et puis on entre dans la jungle.
Ça, c’est simple, c’est facile, il suffit de faire quelques pas. Et l’on pénètre dans un autre monde. (...)

. Un monde où les gens se saluent quand ils se croisent, d’un regard, d’un hochement de tête, d’un hello international. Un monde de survivants où chacun sait combien chaque éclat de vie est précieux.

Il y a donc un scandale à Calais, mais il y a aussi une forme de miracle, dans ce laboratoire de vie collective, dans cette cohabitation qui s’invente jour après jour entre dix ou quinze nationalités différentes. Dans cette solidarité active qui relie réfugiés et bénévoles.

Car ici chacun, à sa façon, ne cesse de participer à l’amélioration de la vie des gens.
Du côté français, il y a les bénévoles calaisiens, réunis sous la bannière de L’auberge des migrants ; il y a les infirmières et les soignants de Médecins du Monde et de Médecins Sans Frontière qui soignent, pansent, réparent comme ils peuvent les mains blessés, les jambes déchirées par les barbelés. Il y a les bénévoles belges qui distribuent autant de repas qu’ils le peuvent. Et les nombreux bénévoles anglais qui ne cessent de ramener vie et culture au sein du bidonville. (...)

J’étais donc à Calais vendredi soir quand mon téléphone a commencé à sonner. Pour m’apprendre, texto après texto, coup de fil après coup de fil, l’horreur de ce que qui était en train de se passer à Paris. La mort en série. (...)

Que cette vie fleurisse dans la boue de Calais, dans le stade de France, aux terrasses des cafés ou dans les salles de concert de l’est parisien.

Aujourd’hui, nos sorts sont liés.
Et ce « nous » dans lequel nous englobent nos ennemis communs nous engagent à rester debout, à lutter ensemble, à s’entraider. A vivre.