
À la tête de la Hongrie depuis mai 2010, Viktor Orbán n’a jamais caché son admiration pour Poutine et Berlusconi, ses modèles. Contrôle des médias et de la justice, réforme électorale avantageant son parti, criminalisation de la pauvreté… En un an, Orbán a posé les bases d’un système autoritaire au cœur de l’Europe. Pourquoi les Hongrois ne parviennent-ils pas à stopper cette inquiétante dérive ? Rencontre avec Krisztina Keresztely et Mario Dellamaistra, citoyens hongrois.
(...) Krisztina Keresztely et Mario Dellamaistra : C’est une claire remise en cause de la démocratie. Le changement de Constitution sert, sur le long terme, le parti politique au pouvoir. Le nouveau système électoral, à un seul tour, assure la victoire presque systématique du Fidesz (Union civique hongroise, parti de Viktor Orbán). Le nombre de signatures nécessaires pour se présenter à des élections a augmenté, ce qui écarte les petits partis. Le découpage des circonscriptions a été modifié au bénéfice du Fidesz. Des gens proches du pouvoir sont placés dans le Conseil constitutionnel ou dans les instances représentant les juges et les procureurs. Orbán a également abaissé l’âge de la retraite des juges de 70 à 62 ans, mettant à la retraite les magistrats les plus expérimentés, pour les remplacer par ses partisans [1]. (...)
Même après un changement de gouvernement, ces nominations et certaines lois vont perdurer : elles ne peuvent être remises en cause qu’avec une majorité des deux tiers. C’est comme si la démocratie avait été suspendue. Nous n’allons pas vers une dictature, nous y sommes. (...)
De 1998 à 2002, Orbán était déjà au pouvoir (sans majorité des deux tiers). Il a construit un réseau d’entreprises et de banques, un empire médiatique, avec parfois des affaires de corruption… Des réseaux qui lui servent aujourd’hui. Il se présente comme le premier homme politique depuis 1990 à vraiment vouloir transformer le système communiste, qui n’a pas bougé, selon lui. Ses valeurs ? Travail, religion, famille. Comme Mussolini. Son modèle : Berlusconi. On l’appelle d’ailleurs « le Poutine de la grande plaine ».
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Pendant les huit années précédentes, le parti socialiste a gouverné dans une coalition avec le parti libéral. Ce gouvernement, soi-disant de gauche, a mené une politique économique libérale, poursuivant les privatisations lancées dans les années 1990.
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On évoque peu la culture dans les médias, mais le Fidesz est aussi en train de détruire la diversité du réseau culturel, les théâtres, les lieux de la culture alternative et indépendante... (...)
Le parti a aussi remporté les élections locales. La nouvelle réforme des collectivités locales va centraliser encore davantage le système de redistribution des ressources. (...)
Internet est resté libre, comme la presse écrite, mais les médias audiovisuels sont pratiquement mis sous tutelle du Fidesz. La dernière radio d’opposition, Klubrádió, perdra sa fréquence le mois prochain. (...)
Le directorat peut également diffuser de fausses informations, comme lors de la manifestation du 2 janvier, qui a réuni près de 100 000 personnes devant l’Opéra de Budapest.
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Au niveau fiscal, l’impôt sur le revenu est maintenant à taux unique (16 %), ce qui favorise les plus riches, une minorité. La politique d’Orbán consiste à renforcer les classes moyennes, ce qui garantit selon lui une stabilité économique. Toutes les contributions de l’État à des organismes sociaux ont été supprimées. Le gouvernement criminalise la pauvreté : vivre dans la rue est devenu un délit [3]. (...)
Les mouvements d’extrême droite se sont aussi renforcés, avec la mise en place d’organismes paramilitaires comme le Garda. Des extrémistes ont campé pendant des semaines devant le Parlement, faisant irruption dans les manifestations… Ils ont réussi à réinstaurer un sentiment de peur et d’insécurité dans la société. (...)
La population hongroise est passive, dépolitisée depuis les années 1990 : on parle beaucoup de politique mais on agit peu.
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