
Les puissances d’argent ont acquis une influence démesurée, les grands médias sont contrôlés par les intérêts capitalistes, les lobbies décident des lois en coulisses, les libertés sont jour après jour entravées. Pour Hervé Kempf, journaliste et essayiste, si nous voulons répondre aux défis du 21e siècle, il est impératif de revenir en démocratie. Et mettre fin à l’oligarchie, régime actuel qui maintient les privilèges des riches au mépris des urgences sociales et écologiques.
Une des caractéristiques du régime oligarchique est l’imbrication étroite entre les cercles dirigeants politiques et économiques. Alors que l’un des principes fondamental de la démocratie est la séparation : d’un côté les élus, les hauts-fonctionnaires, les membres des cabinets ministériels et de l’autre les dirigeants des banques et des grandes entreprises. Ils ne doivent pas être adversaires, au contraire, c’est important qu’une société démocratique ait une activité économique prospère. Mais en démocratie, les affaires privées relèvent d’une autre logique que les affaires publiques. Or on observe aujourd’hui une fusion des deux systèmes de gestion.(...)
On observe aussi un constant va-et-vient, du point de vue des acteurs, entre les milieux de la haute décision publique et ceux des grandes entreprises ou de la banque.(...)
Tout le discours de l’oligarchie consiste à préserver la fiction de la démocratie. Il est vital pour le maintien d’un système inégalitaire que le peuple continue à croire qu’il est en démocratie, que c’est lui qui décide. Aujourd’hui, une partie de la classe dirigeante est cependant en train d’abandonner l’idéal démocratique et aspire plus ou moins ouvertement à un régime totalitaire. (...)
L’évolution du capitalisme s’est accompagnée d’une transformation majeure de la culture collective. L’individualisme s’est exacerbé à un point sans doute jamais vu. Il forme aujourd’hui le fond de notre culture, de notre conscience collective, de notre façon d’être. C’est ce qui cause notre faiblesse et notre incapacité à nous rebeller. L’individualisme fragmente la société. Il nous paralyse et nous handicape face à des gens qui, même s’ils sont peu nombreux, « jouent collectif » et sont très cohérents.
Pour dépasser cela, il faut nous affranchir d’un conditionnement extrêmement fort des médias, et particulièrement de la télévision. (...)
Il y a, dans une large part des classes moyennes, un conservatisme fondé sur la crainte. Elles savent que les mécanismes de la démocratie sont très affaiblis, que la situation générale se délite, que les institutions de solidarité collective sont mises à mal. Mais elles estiment que le capitalisme finissant et l’oligarchie leur garantissent une certaine sécurité face à l’ébranlement du monde. Après tout, cet ordre existant, bien que très critiquable, nous assure un confort qui pourrait être perdu en cas de changement majeur. Mais la situation ne peut pas rester stable.(...)
Si l’on n’agit pas, si le sentiment d’indignation exprimé par les lecteurs de Stéphane Hessel ne se transforme pas en engagement, les oligarques, face à la montée de la crise sociale et écologique, nous entraîneront dans un régime de plus en plus autoritaire. Un régime qui affaiblira le confort, mais aussi la liberté et la dignité de chacun.(...)
L’un des leviers essentiels pour revenir en démocratie – et pour donner des capacités d’action au politique – est d’affaiblir cette puissance financière. Il faut reprendre le contrôle, par des règles que les spécialistes de la finance connaissent bien : séparation des activités spéculatives et des activités de dépôt, gestion collective du crédit, taux de réserve obligatoire pour les banques… On peut aussi envisager la socialisation d’une partie du secteur bancaire.(...)
Autre enjeu crucial : réduire drastiquement les inégalités. Cela est indispensable pour que notre société ait les moyens de se transformer, de s’orienter vers une politique écologique de la ville, de l’énergie, des transports. Il faut développer des activités moins destructrices de l’environnement, et moins tournées vers la production matérielle, comme l’éducation, la santé, la culture.(...)
certains sont dans une telle position de richesse qu’ils peuvent influencer très largement la décision collective. Par des activités de lobbying, par le financement des campagnes des candidats, par le contrôle des médias, autant d’actions qui conditionnent les esprits.(...)
En termes de prélèvement des matières premières ou de recyclage, nous avons atteint les limites de la biosphère. Et les pays émergents revendiquent légitimement d’être traités sur un pied d’égalité avec les pays occidentaux, en terme d’accès aux ressources et de consommation. Historiquement, nous allons vers une convergence des niveaux de vie. La situation écologique ne permet pas que cette convergence se fasse par un alignement sur le niveau de vie occidental. Celui-ci doit changer, ce qui se traduira par une baisse du niveau de vie matériel. C’est le défi majeur de nos sociétés. L’oligarchie ne peut pas le relever. (...)