
Depuis 2004, cette sénatrice LR a employé plus de 40 collaborateurs différents. L’un d’entre eux vient de l’attaquer aux prud’hommes pour dénoncer des faits de harcèlement moral. Un courrier montre que le président Gérard Larcher était informé de dysfonctionnements dès 2016.
Dans les couloirs du Sénat, une histoire circule sous le manteau comme une légende dont on finit par croire qu’elle a été inventée de toutes pièces : en 2016, une collaboratrice parlementaire au bout du rouleau se serait carrément effondrée dans son bureau, avant d’être prise en charge par les pompiers.
Cette histoire est authentique, et cette collaboratrice existe vraiment : il s’agit d’Hélène*, 48 ans, qui a effectivement été hospitalisée, le 17 novembre 2016, après avoir fait un malaise « causé par le harcèlement » dont elle était alors victime, ainsi que l’a écrit, dans sa déclaration d’accident du travail, l’Association de gestion des assistants de sénateurs (Agas).
Jusqu’ici resté sous le boisseau, l’épisode plonge aujourd’hui dans l’embarras, plus de trois ans après les faits, les caciques du Sénat. La raison ? Le procès à venir d’une sénatrice, la représentante Les Républicains (LR) des Français de l’étranger, Joëlle Garriaud-Maylam, accusée par un de ses collaborateurs de « harcèlement moral ». Une procédure qui fait ressurgir les démons du passé : Joëlle Garriaud-Maylam était justement l’employeur d’Hélène, l’assistance retrouvée allongée dans son bureau en 2016.
Cet épisode rappelle aussi de biens mauvais souvenirs au président Gérard Larcher, qui avait alors dû reconnaître l’incapacité du Sénat de protéger cette collaboratrice. Le 8 novembre 2016, le médecin du travail des assistants du Sénat, qui avait placé en arrêt une première fois Hélène, avait en effet émis une alerte sur son état de santé, incitant les autorités à prévenir les risques psychosociaux liés à son retour au travail. En vain.
Le 24 novembre, une semaine après le malaise d’Hélène, Gérard Larcher avait été obligé d’admettre l’échec cuisant de l’institution qu’il préside, dans un courrier envoyé au représentant de l’Association des collaborateurs du Sénat (ACS). « Force est de constater que ce suivi n’a pas permis d’éviter un nouvel incident dont on ne peut sous-estimer la gravité », écrivait alors le patron de la chambre haute dans cette missive, consultée par Mediapart. Gérard Larcher entendait alors répondre aux inquiétudes exprimées par plusieurs collègues et fonctionnaires, sous le choc de l’épisode. (...)
Sans pour autant porter l’affaire en justice, le patron du Sénat déclarait alors qu’il prendrait « rapidement » « toutes les dispositions nécessaires » pour « traiter les difficultés rencontrées par [Hélène] et pour éviter que ce type de situation se répète à l’avenir ».
Pendant les premiers mois de sa convalescence, Hélène a bien reçu des coups de fil réguliers du cabinet de Gérard Larcher pour prendre des nouvelles. Dans le même temps, un groupe de travail a aussi été créé, débouchant sur l’élaboration d’un guide à destination des sénateurs et de leurs collaborateurs, mais aussi d’une cellule de lutte contre le harcèlement, qui a officiellement vu le jour en 2018. Pour un résultat encore bien maigre à ce jour.
Pour Hélène, d’abord, dont l’accompagnement s’est délité au fur et à mesure de son éloignement de l’institution. En arrêt de travail, l’ancienne assistante a mis près de neuf mois à se relever, à raison de trois séances de psychothérapie par semaine, avant de se reconvertir dans le privé. Aujourd’hui encore, « je ne me remets pas de cette expérience », confie-t-elle, expliquant, les yeux embués : « C’est dur, très dur, j’ai aussi perdu des capacités cognitives. »
Interrogée par Mediapart, Joëlle Garriaud-Maylam « réfute toute accusation de “harcèlement moral” » sur son ancienne collaboratrice (...)
La sénatrice traînait déjà une sulfureuse réputation derrière elle en 2016. « Je peux attester de la souffrance au travail des précédents collaborateurs se succédant au service de cet employeur », a expliqué le 21 novembre 2016, dans un courrier à Gérard Larcher, la secrétaire générale de l’Union syndicale des collaborateurs parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale, rattachée à l’Unsa. Le syndicat expliquait même, par écrit, au président du Sénat « redouter que ces difficultés se traduisent un jour par le suicide d’un salarié ». (...)
« Nous observons, depuis des années, une valse des collaborateurs auprès de cette sénatrice. Tous nous ont fait part de leur détresse », attestait également à l’époque une autre collaboratrice. Un témoignage complété par le récit d’une autre collègue, assurant : « Les difficultés rencontrées par Hélène* avec Madame Garriaud-Maylam ne sont pas nouvelles et sont malheureusement connues depuis très longtemps. »
Ce qui n’a pas empêché la commission d’investiture des Républicains, dans laquelle siègent Gérard Larcher et le patron du groupe LR Bruno Retailleau, également informé des difficultés rencontrées par Hélène, de renouveler sa confiance en l’élue quelques mois plus tard. En 2017, le parti a en effet confié à Joëlle Garriaud-Maylam, 65 ans, la tête de la liste dans la circonscription des Français de l’étranger, lui assurant ainsi sa réélection.
Sollicités, Gérard Larcher et Bruno Retailleau n’ont pas retourné nos demandes d’explications sur leur gestion du dossier.