
Dans Tout peut changer (1), la journaliste canadienne Naomi Klein livre sa prise de conscience du lien entre capitalisme et changement climatique. La brutalité de l’exploitation des hydrocarbures au Canada, où elle réside, lui apparaît comme un élément de l’« écocide », cette guerre globale contre la nature. L’auteure de No Logo décrit un monde qui se gave d’énergies fossiles récoltées dans des conditions de plus en plus insensées, au moment où tous les signaux climatiques sont au rouge.
Partout, riverains, agriculteurs et militants affrontent les pipelines géants, bloquent les engins de fracturation hydraulique et s’enchaînent aux plates-formes offshore à grande profondeur. Ces actions forment la « Blocadie », ce grand élan pour la justice environnementale qui permet d’espérer que quelque chose est en train de changer. Klein y voit la source d’une résistance d’un type nouveau, qui fait la jonction entre les luttes anticapitalistes, les mouvements écologistes et les révoltes des peuples autochtones. Elle en appelle à enraciner la critique du système dans une conscience de la Terre, tout en luttant contre les mystifications des tenants de la « croissance verte » et autres « géocliques » philanthropiques : pour eux, il s’agit de « régénérer » et de guérir la Terre-mère en « perpétuant la vie » sans pour autant réduire l’empreinte écologique de l’humanité, estime-t-elle, laissant le lecteur quelque peu sur sa faim à l’issue de cet essai-fleuve.
Les mêmes entreprises qui extraient les minéraux de la croûte terrestre sont les premières bénéficiaires des marchés de la nature, selon Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, dont l’enquête saisissante, Prédation (2), raconte l’histoire de la mainmise économique et bancaire sur les ressources vivantes à l’échelle planétaire.
Des banques et des fonds d’investissement achètent aujourd’hui d’immenses zones naturelles riches d’espèces animales et végétales en danger. Puisque aucune limite ne doit venir entraver la croissance, le capitalisme donne la prééminence au marché pour réguler l’environnement. La prise de contrôle des Nations unies et de ses entités par les multinationales les plus destructrices de l’écosystème parachève cette boucle, avec l’aval de certaines grandes organisations non gouvernementales (ONG). Celles-ci sont mises à contribution dès lors qu’il s’agit d’évaluer la valeur des espèces. La plus grande biobanque du monde, qui détient une concession de trente-quatre mille hectares dans la jungle de Bornéo, en Malaisie, entend ainsi mettre un prix sur les grands singes afin de les protéger. Bientôt, des « paniers multi-espèces » permettront d’élargir le marché des produits dérivés.
La première « Bourse verte » a d’ores et déjà été créée au Brésil et inaugure l’échange de titres sur la forêt amazonienne, légitimant ainsi la déforestation. L’ensemble de la planète devient une marchandise cotée. La nature est un sous-système du système financier, un « capital » qui génère des « flux de services » évalués par des organismes de notation. (...)
(1) Naomi Klein, Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, Actes Sud-Lux, Arles-Montréal, 2015, 640 pages, 24,80 euros.
(2) Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, Prédation. Nature, le nouvel eldorado de la finance, La Découverte, Paris, 2015, 216 pages, 16,50 euros.
(3) Lire Razmig Keucheyan, « Quand la finance se branche sur la nature », Le Monde diplomatique, mars 2014.