
(...) Seulement quelques heures avant la terrible catastrophe ferroviaire du 28 février, le président du syndicat des conducteurs de trains, Kostas Genidounias, avait commenté en ces mots la visite que le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, devait rendre le 1er mars, c’est à dire au lendemain de cette catastrophe, au “Centre de téléconduite et de signalisation du réseau ferroviaire du nord de la Grèce” à Salonique : « Je viens de lire sur un site que Mitsotakis sera demain au centre de télécommandes - signalisation du réseau ferroviaire de la Grèce du nord. Quelqu’un peut-il nous dire où se trouve le centre de signalisation et de télécommandes et où fonctionne-t-il dans le nord de la Grèce ? À Drama il n’y en a pas, après PLATY à Florina ligne unique, tandis que vers Athènes tout est éteint, après tx1 rouge, en opération Sindos, la ligne à Strymonas une jungle. Qu’est ce que nous sommes en train de vivre ???? »
(...)
Nous voici donc au cœur de cette nouvelle tragédie grecque, à l’inexistence de ce qui est la plus élémentaire garantie sécuritaire de tout transport ferroviaire.
Mais, pour comprendre le pourquoi de cette absence ahurissante de système de signalisation, il faut revenir en arrière, à la privatisation des chemins de fer grecs imposée par la tristement célèbre Troïka, l’UE et le FMI, au temps de la mise sous tutelle de la Grèce. Une privatisation qui -comme d’ailleurs toute privatisation d’entreprise publique- n’a eu qu’un seul objectif : privatiser les profits et socialiser les pertes de l’entreprise. Ce qui s’est traduit par offrir au privé, presque gratuitement, l’exploitation du réseau ferroviaire qui génère des profits, et par laisser au public ses infrastructures qui ne génèrent que des pertes ! (...)
Le résultat crève les yeux : après ce véritable bradage des chemins de fer grecs, l’OSE se désorganise et est contraint à pratiquer des coupes drastiques à son budget, ce qui se traduit par plus de licenciements et moins d’embauches, moins de formations, moins d’entretien du matériel et des infrastructures, et moins d’investissements. Et, évidemment, ce n’est pas un hasard si le système de signalisation du réseau ferroviaire, qui fonctionnait sans problème jusqu’à 2010, cesse d’exister à partir de ce même fatidique 2010 qui voit l’apparition de la tristement célèbre Troïka et de ses Memoranda, et le début de la mise sous tutelle de la Grèce. Tout ça combiné aux défaites et aux frustrations successives du peuple, et surtout au pourrissement du système politique, à la corruption du personnel politique et au délabrement de l’État. Ces résultats des politiques néolibérales, menées par tous les gouvernements, de droite (Nouvelle Démocratie), de gauche (Syriza) et de centre-gauche (PASOK) des 40 dernières années, conduisent droit à des catastrophes comme celle que nous venons de connaître... et les autres que vont suivre. Inévitablement...
D’ailleurs, nous venons d’apprendre que la conduite à l’aveugle, faute de système de signalisation, n’est pas l’apanage des seuls conducteurs de trains grecs. En effet, des conducteurs du métro et du RER de la capitale grecque, profitant de l’émoi provoqué par la catastrophe ferroviaire, dénoncent maintenant que la dernière portion de la ligne, menant à l’aéroport Venizelos d’Athènes, manque cruellement... de signalisation (!) et que, bravant leurs protestations, l’entreprise privée qui les exploite fait la sourde oreille et laisse faire. Manifestement, c’est un miracle qu’il n’y a pas encore eu des catastrophes analogues à celle du 28 février en pleine capitale grecque…
Il y a une dizaine de jours, le dernier rejeton de la vénérable dynastie politique des Karamanlis, le ministre des transports Kostas Karamanlis qui vient d’ailleurs de démissionner, a fustigé au parlement un député de Syriza parce qu’il a osé mettre en question la sécurité des chemins de fer grecs (...)
notre conclusion serait totalement pessimiste s’il n’y avait pas le rayon d’espoir que représentent les manifestations massives d’une certaine jeunesse grecque, qui ont commencé au lendemain de la terrible catastrophe ferroviaire du 28 février, et qui continuent jusqu’à aujourd’hui. Des manifestations qui ont tendance à faire tache d’huile et qui proclament haut et fort que « Les privatisations tuent » et aussi et surtout, « Nos morts avant leurs profits » ! Peut-être que cette fois, la goutte de la colère populaire fera déborder le vase de sa patience qui a trop duré...