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Gestion tchèque de la crise sanitaire et « vol de masques »
Article mis en ligne le 10 avril 2020

L’épidémie du Covid-19 révèle une multitude de façons de réagir. À travers le monde, les solutions sont diverses et les résultats seront variés. On pourra déterminer ultérieurement quels pays ont développé des pratiques judicieuses et quels systèmes auront dysfonctionné. On pourrait d’ores et déjà s’inspirer des bons exemples et profiter de l’expérience des pays qui ont eu le malheur d’être les premiers touchés.

Il semble pourtant que les meilleurs cas de gestion de la crise en Asie (Taiwan, la Corée du Sud) n’aient pas beaucoup influencé nos politiques au contraire de l’Allemagne. Il paraît aussi que les leçons du cas italien ont été trop tardivement tirées. D’autres pays européens peuvent désormais servir de points de repère. La gestion tchèque est particulièrement intéressante à ce titre, parce qu’elle semble remarquablement efficace. Dans ce cas, une affaire ayant suscité un emballement médiatique bref mais laissant des traces tenaces pourrait pourtant empêcher qu’on lui accorde toute l’attention qu’elle mérite. Il faut donc d’abord tenter de démêler une pelote de mensonges.

Retour sur l’affaire du prétendu vol de masques

C’est peut-être dans un reportage sur France 2 le 22 mars que la rumeur sur un prétendu détournement de masques se présente sous la forme la plus affirmative. Prenez donc deux minutes pour voir le travail (si on peut dire). (...)

Les autorités tchèques assurent avoir indiqué dès le 19 mars (c’est-à-dire avant le dévoilement de l’affaire en Italie) qu’elles ont averti les autorités chinoises de la saisie de ces cartons, de l’existence du trafic, et qu’elles leur ont demandé de renvoyer immédiatement un même nombre de masques en Italie, car ceux de Lovosice étaient bloqués par les douanes pour enquête. Les autorités tchèques préviennent également l’ambassade d’Italie à Prague de l’affaire en lui signalant que les Chinois allaient renvoyer de nouveaux masques.

Le vendredi 20 mars, le ministre de l’Intérieur tchèque, Jan Hamáček publie un communiqué officiel pour indiquer qu’une partie des masques saisis avait été envoyée par la Chine à la communauté chinoise d’Italie et que des négociations étaient en cours avec la région de Lovosice et le gouvernement italien pour régler l’affaire. (...)

Là-dessus, le samedi 21 au soir, un article est publié dans La Repubblica, à partir des informations mises sur la page facebook de Lukaš Lev Červinka[1] et l’information est ensuite reprise en France sans contrôle ni enquête et avec de consternantes simplifications à chaque étape, ce qui donne lieu à beaucoup de désinformation avec prolifération d’éléments incorrects.

On déclare par exemple « que les masques ont été saisis par les douanes tchèques à l’aéroport » (rappelez-vous le « reportage » de France 2) sous-entendant ainsi que ce sont les autorités tchèques qui ont elles-mêmes décidé de détourner les masques.

Ce qui est manifestement faux (...)

On déclare aussi que « la République tchèque a détourné 680 000 masques destinés à l’Italie »

Cela est également inexact (...)

On déclare également que « les masques destinés à l’Italie ont été distribués dans les hôpitaux tchèques », ce qui est abusif, puisque les masques saisis ont dans un premier temps été conservés par la police tchèque comme pièces à conviction dans le cadre de l’enquête, avant d’être en effet distribués dans des hôpitaux du Nord de la Bohême, après accord des autorités chinoises et de l’ambassade italienne lorsqu’il a été décidé entre les différentes parties qu’un nouveau contingent de masques serait immédiatement renvoyé de Chine vers l’Italie pour remplacer les masques saisis.

On déclare enfin que « les Tchèques ont gardé pour eux les masques après l’éclatement de l’affaire », ce qui est encore erroné (...)

On déclare également que « les masques destinés à l’Italie ont été distribués dans les hôpitaux tchèques », ce qui est abusif, puisque les masques saisis ont dans un premier temps été conservés par la police tchèque comme pièces à conviction dans le cadre de l’enquête, avant d’être en effet distribués dans des hôpitaux du Nord de la Bohême, après accord des autorités chinoises et de l’ambassade italienne lorsqu’il a été décidé entre les différentes parties qu’un nouveau contingent de masques serait immédiatement renvoyé de Chine vers l’Italie pour remplacer les masques saisis.

On déclare enfin que « les Tchèques ont gardé pour eux les masques après l’éclatement de l’affaire », ce qui est encore erroné (...)

Malgré les protestations des autorités et des médias tchèques, aucun média français n’a cru bon de rectifier les premiers titres ou de publier des démentis clairs. Une accumulation de pénibles contrevérités circule donc toujours en France à sujet.

La chronologie des mesures sanitaires tchèques, notamment la fermeture des frontières

On ne sait presque rien, ici, sur la gestion tchèque de la crise sanitaire. L’histoire des masques prétendument volés est une des deux seules choses qui ont été portées à la connaissance du public français. L’autre n’a pas été traitée avec plus d’équité par la presse. (...)

Si l’on fait la comparaison avec la Tchéquie, on doit observer que la prise de conscience collective a sans doute été retardée en France plus encore que la prise des mesures. La capacité d’initiative de la société tchèque vient peut-être bien d’abord de sa précocité à prendre la mesure de l’événement alors que les nombreux comportements inadaptés, voire aberrants, des Français dans les jours précédant le confinement s’expliquent d’abord et avant tout par la confusion des informations dont on les abreuvait.

La généralisation du port du masque et l’utilisation de masques artisanaux (...)

Outre leur excellente réactivité pour prendre les mesures de confinement du pays, avec notamment une rapide fermeture des frontières, l’originalité des Tchèques est d’avoir donné des consignes particulières par rapport au port du masque. Contrairement à la France et à d’autres pays, ils se sont imposés dès le 16 mars de porter systématiquement un masque à la moindre sortie.

Comme la Tchéquie pas plus que la France ne disposait de stocks de masques suffisants avant la crise, la confection de masques artisanaux ou de « masques maison » a été encouragée. De nombreux masques, certains tout à fait élégants, ont ainsi été confectionnés. Cette précaution très simple, prise aussi par un pays comme le Viet Nam, semble redoutablement efficace.

Les bêtises prononcées ici et là prennent à cet égard un relief particulier. La position du gouvernement français semble bien avoir été celle-ci : « Puisque nous n’avons pas de masques, déclarons tout simplement que ça n’est pas utile d’en porter ». L’exemple tchèque montre qu’il aurait mieux valu faire autrement et que c’était possible même en cas de pénurie initiale. Au lieu de cela, un certain nombre de Français ont perçu qu’il serait ridicule d’en porter !

Il faut dire que certaines autorités sanitaires ont adopté des positions radicales à cet égard. L’ARS de Nouvelle Aquitaine et le docteur Daniel Habold, directeur du pôle santé publique de l’institution, semblent avoir été les plus extrémistes. On lit ainsi en titre dans Sud-Ouest ce message subtilement nuancé : « Coronavirus : "Non aux masques en tissu fabriqués maison", dit l’ARS »

Il y a quelque chose d’un peu inquiétant dans le raisonnement qui semble supporter cette recommandation : « si vous ne pouvez pas vous procurer une protection optimale, vous pouvez vous dispenser de toute protection ». (...)

Mais voici ce que l’on a pu observer en Tchéquie.

Dès le tout début du confinement et alors que chaque foyer, chaque individu faisait en sorte de se fabriquer des masques « maison », des corporations entières se mobilisaient, comme les costumières des différents théâtres de République tchèque ou des studios de cinéma, ou les artisans, ouvriers et petites entreprises du textile qui se mettaient à fabriquer des masques en tissus en grande quantité pour en équiper les équipes non soignantes des cliniques et des hôpitaux, les caissières et caissiers des magasins encore ouverts, les ouvriers travaillant sur les chantiers.

Une multitude d’initiatives ont ainsi été prises par la société tchèque [Voir plus bas l’ANNEXE 3, qui en recense un certain nombre]

D’une manière générale la quarantaine a permis de redévelopper, de renforcer et de redonner une totale légitimité à une société civile que les pouvoirs politiques en place après 1989 avaient tenté de discréditer ou de faire disparaître par peur d’un « contre-pouvoir ».

Un commentateur du site info.cz estime ainsi que l’on assiste à la création d’une sorte d’immunité nationale :

« Cette immunité semble nous protéger de la haine, de la peur et de la méfiance réciproque, des phénomènes qui nous ont, ces dernières années, étouffés, divisés et qui ont disloqué une société tchèque traditionnellement conviviale. Les sentiments d’unité et de solidarité que nous partageons aujourd’hui, sont identiques à ceux qui ont régné lors de la révolution de Velours en 1989 et dont l’intensité ne s’est plus jamais répétée ensuite, sauf lors de courts moments d’euphorie suite à des succès sportifs. C’est une belle promesse pour l’avenir. »

Ajoutons que la République tchèque n’a pas eu recours à des « autorisations de sortie », imprimées, datées et paraphées et a fait confiance au civisme et à la responsabilité de chacun, sans mettre en place des contrôles policiers ou des amendes massives (et ceci se déroule sans problème). De même aucun « couvre-feu » n’a été instauré dans le pays. La situation n’est cependant ni idyllique ni sans accroc pour le fonctionnement politique et démocratique du pays, mais c’est le cas presque partout avec le fleurissement de « régime spéciaux » ou « d’exception » liés à l’épidémie (...)

Des résultats très probants.

Pour évaluer les conséquences de la politique sanitaire suivie, il faut analyser quelques chiffres. (...)
les divergences entre la France et la Tchéquie sont telles que la comparaison nous paraît éloquente quelle que soit l’imperfection de notre traitement des données (et peut-être de nos données mêmes) (...)
Les taux de décès par rapport aux cas positifs sont absolument sans commune mesure (0,13% en Tchéquie ; 4,9 % en France, mesurés respectivement les 30 et 24 mars), ce qui signifie aussi sans aucun doute que les Tchèques ont réalisé en proportion beaucoup plus de tests que les Français. Si on réévalue la précocité de leurs mesures à cet aune, le retard français en la matière apparaît encore plus nettement.

Il faut en outre souligner que les Tchèques semblent d’ores et déjà stabilisé le nombre de nouveaux cas constatés alors que le nombre français est loin d’avoir cessé de croître. (...)

Des mesures de confinement précoces et judicieusement menées semblent donc bien avoir limité drastiquement la contamination, que l’on considère le nombre de cas constatés, la rapidité de la contamination, la précocité de la stabilisation et bien sûr et surtout le nombre de décès à déplorer.

Conclusion

Le cas tchèque présente un grand intérêt et il serait vraiment trop commode de ne pas le prendre en compte au prétexte très distingué que nos voisins d’Europe centrale sont tout juste bons à « voler des masques » pour se protéger. L’exemple tchèque montre au contraire qu’en prenant précocement des mesures adéquates et surtout en laissant une grande autonomie à une société civile non infantilisée et bien informée, on peut contenir l’épidémie avec un maximum d’efficacité. Il semble ainsi remettre en cause, au moins partiellement, la réaction des autorités françaises (sans parler de leur propension à l’autosatisfaction), que ces autorités soient politiques ou sanitaires, ainsi que celle de médias décidément trop peu curieux quand manquent les stimulations du pouvoir et trop prompts à relayer des informations non vérifiées. On a beaucoup parlé, et à juste titre, des exemples taïwanais ou coréens, il faut maintenant observer attentivement les exemples européens, qu’ils soient judicieux ou aberrants. (...)