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Gardarem lo Larzac (1970-1974)
Article mis en ligne le 15 août 2022
dernière modification le 14 août 2022

Situé à l’extrémité sud du Massif central, entre Millau et Lodève, sur une superficie de 1000 km², le Larzac est un causse, une série sédimentaire d’une épaisseur de 1500 à 2000 mètres, constituée de calcaires, de dolomies et de marnes. Dès l’Antiquité, les Romains y tracent des routes, mais ce sont les Templiers qui développent l’activité fromagère et bâtissent les principaux villages, ensuite fortifiés par les Hospitaliers.

Les brebis constituent la principale ressource du plateau, dont elles ont aussi façonné les paysages en dévorant la forêt. Sédentaires, gardées par un chien, les brebis restent en hiver à la bergerie. L’élevage ovin et les activités qui en dépendent, organisent la vie des habitants du causse et de ses alentours. Le lait des brebis sert ainsi à la fabrication du Roquefort, dont les caves se situent en légère périphérie du causse. (1) Au XIXème siècle, les moutons assurent également l’essor de la ganterie millavoise (...)

"Le moment disciplinaire". (P. Artières)

Hormis ces activités économiques, le plateau du Larzac accueille bientôt des lieux de relégation, d’enfermement ou d’entraînement militaire. Ainsi, au milieu du XIX° siècle, une institution de redressement de l’enfance disciplinaire est installée dans la colonie agricole pénitentiaire du Luc. Les jeunes détenus y vivent dans des conditions de vie et d’hygiène déplorables. Cet établissement, puis l’installation d’un camp militaire en 1902-1903, inaugurent un "moment disciplinaire" dans le Larzac. Pour installer le camp, l’État achète des bergeries, ainsi que les terrains de trois hameaux. De la sorte, il dispose bientôt d’un vaste rectangle de 8 km de long sur 4 de large, avec pour centre La Cavalerie. L’activité se résume encore à l’accueil de réservistes lors de la période estivale. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le camp accueille la 41ème compagnie de travailleurs étrangers, composée essentiellement d’exilés espagnols, puis vient le tour des prisonniers militaires allemands après la capitulation du IIIème Reich. Entre 1959 et 1962, plus d’une dizaine de milliers d’Algériens y sont enfermés dans des conditions d’arbitraire total. A l’issue des accords d’Évian, le camp sert à parquer plusieurs milliers de harkis, les supplétifs "musulmans" de l’armée française. (...)

En 1962, l’indépendance de l’Algérie s’accompagne, pour l’ancienne puissance coloniale, de la perte d’immenses espaces désertiques propices aux manœuvres. L’armée se sent à l’étroit et négligée. C’est dans ce contexte que le Larzac retrouve, à partir de 1963, sa vocation militaire initiale, en accueillant de nouveau les manœuvres de l’armée de terre. Avec une superficie de 3500 hectares, le camp est un des plus petits de l’hexagone. C’est alors qu’en octobre 1970, Alain Fanton, le secrétaire d’État à la Défense nationale dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, évoque le projet d’extension du camp militaire de La Cavalerie, lors du congrès départemental du parti gaulliste (UDR). Les propos s’apparentent encore à une rumeur, mais l’annonce officielle du projet par Michel Debré à la télévision, le 28 octobre 1971, provoque la stupeur. (...)

Dans l’esprit de Debré, les expropriations nécessaires à l’agrandissement du camp ne poseront aucune difficulté. Il est vrai qu’a priori, rien ne place les agriculteurs du Larzac dans le camp de la protestation. Dans ce département conservateur et catholique, la plupart d’entre eux vote à droite et assiste à la messe dominicale.

Il n’empêche. La réalité du Larzac est bien différente de la description qu’en a fait Debré. Sous l’impulsion d’une poignée de "pionniers" venus s’installer au début des années 1960 dans la partie nord du plateau, le causse emprunte le chemin de la modernisation et connaît une révolution silencieuse. Les nouveaux venus, qui habitent dans des fermes isolées, introduisent de nouvelles pratiques. (...)

Or, les exploitations de ces nouveaux venus sont directement concernées par le projet d’expropriation, ce qui explique leur précoce mobilisation contre l’extension du camp. (...)

L’annonce de l’extension menace donc directement la perpétuation de l’activité agricole sur le plateau, ce qui ne laisse pas d’inquiéter les paysans. (...)

Une brochure diffusée par quelques agriculteurs du plateau ("Quelques paysans de Larzac") permet de dresser un premier état des lieux et conduit un collectif à fonder l’Association pour la Sauvegarde du Larzac et de son environnement (ASLE), en janvier 1971. Les principaux animateurs de l’ASLE ont pour nom Guy Tarlier (4), Louis Massabiau et Jean-Claude Galtier. L’objectif est de dresser un autoportrait de l’activité agricole, afin de riposter à la propagande gouvernementale. Cette auto-observation prend la forme en mai 1971 d’un Livre blanc qui expose les conséquences économiques et humaines que provoquerait l’extension du camp.

Trop peu nombreux pour peser, seuls, sur les décisions de l’armée, les paysans larzaciens comprennent très vite la nécessité de se souder et de trouver des soutiens. Dans cette optique, ils trouvent un relais important au sein des organisations agricoles comme la FDSEA ou la JAC (jeunesse Agricole Catholique). La chambre d’agriculture de Millau apporte également son aide. Dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, l’appoint de militants extérieurs au plateau apparaît également indispensable. Les agriculteurs trouvent de solides appuis auprès des militants occitans, alors en pleine renaissance. (5) Ancrés à gauche, ils seront les fers de lance des premières protestations. A la faveur de l’été, de jeunes militants maoïstes en quête de nouveaux terrains de lutte font également leur apparition sur le plateau. Ils donnent des coups de main dans les fermes, prennent part au travail d’élevage et de culture. En parallèle, les nouveaux venus lancent des attaques contre les bâtiments publics de Millau. Ces actions irritent les paysans, qui réaffirment leur désir de rester maîtres de leur combat. Un coup de main, oui, une récupération de la lutte, certainement pas.

* Une lutte locale. Les paysans prennent la direction de la lutte.

Le 6 novembre, à l’appel de la FNSEA, 6 000 agriculteurs de l’Aveyron manifestent à Millau. Le 7, l’évêque de Rodez et une cinquantaine de prêtres dénoncent en chaire la décision d’étendre le camp militaire. Le 6 décembre, le conseil général de l’Aveyron vote une motion pour que soit reportée la décision de principe du ministre. Le 5 février 1972, un Comité départemental de sauvegarde du Larzac est créé, avec à sa tête le président du conseil général. Les soutiens affluent, les modes de protestations se diversifient, mais il manque encore un élément fondateur à la lutte du Larzac. Or, depuis quelques années, la communauté chrétienne de l’Arche, animée par Lanza del Vasto, défend le principe de la non-violence sur le plateau. A Pâques 1972, le patriarche propose aux paysans de se joindre à lui pour entamer un jeûne de dix jours. Avec le soutien des évêques de Rodez et Montpellier, il apporte la caution de l’Église, très précieuse aux yeux de beaucoup d’agriculteurs. Del Vasto insiste sur la nécessité de communiquer avec les médias, pour faire connaître ce qui se passe sur le plateau. L’action, qui tient davantage de la grève de la faim que du jeûne, contribue à souder les protestataires. A son terme, le 28 mars 1972, 103 des 109 exploitants concernés par les expropriations, s’engagent à ne pas quitter leurs terres. Ce serment solennel, connu sous le nom de "pacte des 103" affirme le choix de la non-violence et de la désobéissance civile. (...)

Bien conscient de la nécessité de contrer la propagande ministérielle, les paysans multiplient les actions, menant un travail pédagogique et collectif pour faire connaître leur combat. Ils offrent des méchouis (opération "Fermes ouvertes"), organisent des veillées, font découvrir leurs produits aux vacanciers ("opération sourire"). Ces moments de convivialité donnent lieu à des rencontres fructueuses avec les acteurs des milieux militants et/ou citadins. Dans plusieurs villes de France, des comités Larzac sont créés. Au total, de nombreuses actions voient le jour, avec toujours une priorité : garder la maîtrise de la lutte.

Le 14 juillet 1972, plus de quatre-vingt tracteurs quittent le plateau pour manifester à Rodez, à presque 100 km du Larzac. Sur place, plus de 20 000 personnes se sont réunies pour soutenir les paysans. L’importance du rassemblement marque les esprits et incite certains à organiser un événement à Paris. le 25 octobre, 60 brebis du Causse sont lâchées sous la Tour Eiffel. Sur leur dos, on peut lire l’inscription "Nous sauverons le Larzac". La photo des bêtes en train de paître sur le Champ de Mars est aussitôt reprise à la une de la presse. (...)

une guérilla foncière entre les paysans et l’armée.

L’intense mobilisation paysanne n’impressionne guère les autorités. Par l’intermédiaire d’un chargé de mission qui démarche les agriculteurs les uns après les autres, le ministre joue la carte de la discorde. Sans grand succès. En décembre 1972, le ministère de la Défense signe un arrêté de reconnaissance d’utilité publique du projet d’extension, dont le calendrier est précisé. (...)

Les paysans ripostent le 7 janvier 1973, en décidant de "monter" à Paris avec leurs tracteurs. Pendant plusieurs jours, le convoi sillonne la France. A chaque étape, les FNSEA locales et les populations réservent un accueil enthousiaste aux Larzaciens. Le slogan Gardarem lo Larzac fait florès. A Orléans, les agriculteurs apprennent que toute manifestation est interdite par décision préfectorale. Peu importe, les agriculteurs décident de poursuivre leur périple à pieds, pancartes à la main. Tout au long de la marche, de nouvelles alliances se créent. Ainsi, Bernard Lambert, l’animateur du mouvement des Paysans travailleurs, apporte le soutien précieux et indéfectible de son syndicat à la lutte. Au total, la marche sur Paris a un fort impact. La bataille de la médiatisation devient cruciale. Pour contrer les affirmations gouvernementales, le combat du Larzac se dote de symboles forts, le tracteur et la brebis, de slogans incisifs et drôles tels que "faites labour, pas la guerre", "gardarem lo Larzac", "des moutons pas des canons"...

Sur le terrain, les paysans s’emparent en décembre 1973 des Groupements fonciers agricoles (GFA) pour s’opposer en toute légalité au projet gouvernemental. Face au grignotage foncier de l’armée, la stratégie consiste à diviser les propriétés en les vendant en tout petits morceaux. Cette parcellisation des terres du Larzac rend plus complexe les expropriations, tout en permettant de créer un réseau de nouveaux propriétaires/militants, dont certains sont fameux, à l’instar de René Dumont ou Théodore Monod. Le GFA Larzac-Un est un succès. Il est le plus important de France par le nombre de souscripteurs (496). Au total, "les services de l’armée ne sont parvenues à faire signer des promesses de vente que pour 1500 hectares." Ainsi, "il apparaît de moins en moins probable qu’ils parviennent à leurs fins sans avoir recours aux expropriations." (Artières p 226)

Sur le plateau, la désobéissance s’installe et la lutte se politise. En 1973-1974, les militants de la résistance civile, venus en renfort, multiplient les actions aux modalités très variées. La proposition "3% Larzac" consiste à refuser, à chaque tiers provisionnel, trois pour cent des sommes dues au percepteur, et à les utiliser pour construire une bergerie. Ce "refus redistribution" aboutit à la fondation de la bergerie de La Blaquière. (...)

Le 5 octobre 1974, les agriculteurs entament l’occupation de la ferme des Truels, achetée par l’armée. (...)

« Tous au Larzac »

Toujours soucieux de faire connaître leur lutte, et de la mettre en récit, les paysans se dotent d’une agence, Larzac Infos, et d’un journal intitulé Gardarem lo Larzac. De grands rassemblements organisés sur le plateau au cours de la période estivale contribuent également à inscrire la lutte dans la mémoire collective. L’idée est due à Bernard Lambert (6) dont les Paysans travailleurs prennent en charge l’organisation de l’évènement, en collaboration avec la Gauche Ouvrière et Paysanne. Le Rajal del Gorp ("la source du corbeau"), un cirque naturel, devient le point de convergence de très nombreux militants, le 25 août 1973. Près de soixante mille personnes, venues de toute la France, répondent à l’appel. (...)

Un des faits les plus marquants du rassemblement de 1974 reste la venue d’un invité surprise : François Mitterrand. Le candidat malheureux de l’Union de la gauche à la présidentielle de mai 1974, débarque à l’improviste au Rajal. L’homme est pris à parti, conspué, bousculé. Les paysans sont furieux de ne pas avoir été prévenus de sa visite. Pour autant, ils dénoncent les violences commises contre l’homme politique, tout en fustigeant toute forme d’exclusion. Cette rencontre "ratée" est paradoxalement décisive pour l’avenir de Mitterrand et des Larzaciens. Loin de tourner le dos, le socialiste développera un attachement personnel pour cette terre et ses habitants, dont il n’oubliera pas le combat une fois arrivé au pouvoir.

* "Le Larzac restera, / notre terre servira, à la vie" (...)