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Mediapart
Filière française de FFP2 : La Coop des Masques a failli sombrer faute de contrats
Article mis en ligne le 8 janvier 2022

La petite coopérative de fabrication de masques chirurgicaux et FFP2 est née il y a un an à Guingamp. Après avoir frôlé la cessation de paiement cet automne, ses 17 salariés sont convaincus d’être repartis du bon pied, en plein regain épidémique.

(...) L’usine ne dispose pas de boutique à proprement parler. « Mais quand les gens viennent nous voir, on est toujours contents de pouvoir les aider, on se débrouille », dit avec le sourire Séverine Boulaire, l’une des 17 salariés de l’entreprise. Alors que le Haut Conseil de la santé publique doit se prononcer dans les heures à venir sur la généralisation ou non du FFP2, l’adjointe commerciale atteste d’un brusque regain d’intérêt pour ce type de masque, très longtemps cantonné au secteur médical.

« Cela a commencé juste avant Noël, précise Séverine Boulaire. Les gens commandent par précaution, les entreprises aussi, au-delà de nos clients habituels. Ces masques vont-ils devenir obligatoires, comme en Autriche ou en Italie depuis la fin de l’année ? On ne sait pas où l’on va… »

Sur la boutique en ligne de La Coop des Masques, lancée début novembre, le frémissement est également notable. « Avant Noël, nous vendions dix boîtes de FFP2 par semaine en ligne, aujourd’hui, c’est plutôt 100 boîtes par jour », décrit Christophe Winckler, le président du conseil d’administration. (...)

Les spéculations actuelles sur les difficultés d’approvisionnement en FFP2, dans une France subitement demandeuse de ce type de protection, font toutefois sourire dans la coopérative. Mercredi 5 janvier, en faisant visiter les lieux, le directeur général, Patrik Guilleminot, désigne les centaines de gros cartons alignés dans l’entrepôt : « Nous disposons d’un stock de 3,6 millions de masques prêts à être expédiés ! Nous les avons fabriqués en moins de six mois à partir du printemps, puis nous avons stoppé la production, tout simplement parce qu’il n’y avait aucune demande. »

En effet, alors que la machine fabriquant des masques chirurgicaux tourne à plein régime et fabrique de 80 000 à 120 000 masques par jour, tous vendus quasi instantanément, la ligne de production voisine est silencieuse depuis plusieurs mois ; signe le plus visible de la crise, grave et hautement paradoxale, que vient de traverser l’entreprise.
Une première crise à l’automne

Quatre personnes ont dû être licenciées, une autre est partie, et la coopérative a failli mettre la clé sous la porte, neuf mois après sa naissance. Depuis, le président, l’emblématique Guy Hascoët, conseiller régional écologiste de Bretagne de 2010 à 2015, et secrétaire d’État à l’économie solidaire du gouvernement de Lionel Jospin entre 2000 et 2002, a quitté son poste, tout en restant dans le conseil d’administration.

« Nous avons très bien démarré au printemps, puis nous avons senti une baisse, et notre activité a subi une forte chute cet été. Elle n’avait pas repris en septembre et nous avons frôlé la cessation de paiement », raconte son successeur Christophe Winckler, par ailleurs fondateur de l’entreprise de cosmétique bretonne Lessonia. (...)

« Nous avons beaucoup travaillé pour améliorer notre rentabilité et consolider un portefeuille de clients. Nous sommes désormais sur des bases plus solides et nous sommes beaucoup plus sereins, assure-t-il. Nos coûts sont absorbés par le niveau actuel de nos ventes, même si nous avons encore des factures à régler à certains fournisseurs. Depuis le mois de décembre, les commandes arrivent, nous avons le sourire. »

« Nous avons eu très, très peur », résume Serge Le Quéau. (...)

Le 26 mars 2020, en pleine pénurie de masques et aiguillonné par le militant écolo René Louail, il signait au nom de son syndicat un communiqué s’indignant de la fermeture en 2018 de l’usine de masques Honeywell de Plaintel, non loin de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor).

Il appelait à la création immédiate d’une nouvelle usine, sous forme d’entreprise publique ou de coopérative. Moins d’un an plus tard, La Coop des Masques ouvrait, à 35 kilomètres de Plaintel, sous le statut d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic), une coopérative qui regroupe la région et le département, les acteurs économiques susceptibles d’acheter des masques (hôpitaux publics, secteurs médicosocial et agroalimentaire, mutuelles) et des donateurs individuels. En tout, ils sont plus de 1 500 sociétaires.

Le département a rénové l’usine et construit une nouvelle aile, tous les sociétaires ont activement participé au lancement du projet, et puis… rien. Les commandes n’ont pas suivi (...)

Le directeur Patrick Guilleminot raconte ce qui aurait pu être fatal au projet tout neuf : « L’État et les sociétaires nous ont poussés à démarrer le plus vite possible, mais le temps que nous lancions la production, nous avons été prêts au printemps, et il était trop tard : l’État avait fourni des masques aux hôpitaux et aux acteurs de la santé. »

Un coup dur qui n’a pas frappé seulement La Coop des Masques, mais tous les fabricants français, passés début 2021 de 4 à plus de 30. Ils sont encore aujourd’hui une vingtaine. « Entre avril et début décembre 2021, il n’y a eu quasiment aucune commande, dans toute la filière, témoigne Christian Curel, à la tête du syndicat professionnel (F2M) et cofondateur de l’entreprise Prism. Nous avons vendu 90 % de nos masques en mars et en avril 2021, et 5 % depuis la mi-décembre. Les 5 % restants ont été écoulés dans les neuf mois d’intervalle. »

D’autres partenaires de la coopérative, comme le département d’Ille-et-Vilaine ou un acteur mutualiste, n’ont finalement pas fait affaire avec elle. Pour se sauver, la toute jeune entreprise n’a alors eu d’autre choix que de lancer un appel à l’aide public, en demandant à ses soutiens et au grand public d’acheter ses masques à prix bradés. Message reçu : la mobilisation des collectivités locales et du public a permis de regarnir la trésorerie, et de tourner la page de cette première crise.
L’obstacle des masques chinois

Le principal obstacle sur la route des fabricants français ? Le prix de vente. Les masques chinois sont deux à trois fois moins chers que ceux qui sont produits en France – La Coop des Masques s’enorgueillit pourtant du fait que ses FFP2 comptent parmi les moins chers de cette catégorie. (...)

Unanimes, les fabricants français soulignent aussi leurs doutes sur la fiabilité des masques d’importation, qui ne sont pas testés pour savoir s’ils correspondent aux normes. Dans l’usine de Guingamp, un petit laboratoire effectue ces tests toutes les heures, pour écarter au besoin des lots moins fiables. (...)

Pour les Français, impossible de s’aligner avec la Chine. A fortiori quand tous les composants des masques sont fabriqués en France, comme pour La Coop des Masques, qui va seulement chercher en Italie le meltblown, le précieux tissu filtrant nécessaire à la fabrication.

« Pendant un an et demi, le critère, c’était le prix, le prix, le prix, soupire Christophe Winckler. Même pour les hôpitaux, dont les appels d’offres privilégiaient très largement ce critère. »

Cela fait quelques semaines à peine que l’État semble avoir prix conscience du problème. Une circulaire rendue publique jeudi 30 décembre, et datée du 15 décembre, a été envoyée par le ministère de la santé à toutes les autorités régionales de santé, qui pilotent les hôpitaux. Elle établit que les cahiers des charges devront être plus exigeants sur le respect des normes européennes, sur le contrôle qualité et les stocks disponibles, ainsi que sur le bilan carbone des masques et les délais de livraison.
Christophe Winckler, président de La Coop des Masques. © Photo Dan Israel / Mediapart

C’est le signal que la filière attendait (...)

seuls des fabricants européens ou français sont en mesure de répondre aux nouveaux appels d’offres qui commencent à éclore, pour renouveler les stocks des hôpitaux à partir de mars.

Certains marchés ont de quoi assurer l’avenir de ceux qui les emporteront. (...)

Ici, ce n’est pas une usine appartenant à des patrons voyous qui pourraient partir du jour au lendemain avec les machines.

Véronique, salariée de La Coop des Masques (...)

La recherche de partenariats avec d’autres industriels, afin d’assurer la production et son débouché, est en cours, et pourrait s’accélérer en février, sous l’égide de la préfecture. Si cette nouvelle activité se met en route, elle permettra d’employer une dizaine de salariés supplémentaires. Si tout va bien.