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L’Humanité
Faut-il reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle ?
Article mis en ligne le 20 février 2018

Table ronde avec Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherches émérite au CNRS, Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet Technologia et Philippe Zawieja, chercheur associé à l’université de Sherbrooke (Québec).

Rappel des faits. Une proposition de loi, à l’initiative de la France insoumise, a été rejetée et à peine examinée. Sujet débattu depuis quarante ans, l’état d’épuisement professionnel n’est toujours pas considéré comme une maladie. (...)

Rappel des faits. Une proposition de loi, à l’initiative de la France insoumise, a été rejetée et à peine examinée. Sujet débattu depuis quarante ans, l’état d’épuisement professionnel n’est toujours pas considéré comme une maladie. (...)

Jean-Claude Delgènes La situation est en effet sérieuse. Un seul chiffre pour illustrer la dégradation actuelle des situations de travail : les indemnités journalières pour cause d’absentéisme versées par l’assurance-maladie atteignent désormais 14 milliards d’euros (...)

Jean-Claude Delgènes La situation est en effet sérieuse. Un seul chiffre pour illustrer la dégradation actuelle des situations de travail : les indemnités journalières pour cause d’absentéisme versées par l’assurance-maladie atteignent désormais 14 milliards d’euros (...)

Philippe Zawieja (...) la France compterait 100 000 personnes en burn-out ; d’autre part, une étude statistique de l’Institut de veille sanitaire estime, elle, à 30 000 le nombre de personnes en burn-out en France, en 2015, soit 7 % des 480 000 salariés présentant une détresse psychologique liée au travail. La confusion sur les chiffres vient sans doute de là : la détresse psychologique est l’état affectif de la personne, dont le burn-out n’est que l’une des très nombreuses causes possibles. On confond donc le symptôme et l’ensemble du processus sous-jacent. Avec une telle démarche, on traiterait de la même façon toutes les fièvres, sans tenir compte de leur origine – bactérienne, virale ou parasitaire… Or, c’est cette erreur qu’on commet en faisant du burn-out la cause unique de la détresse psychologique. Pour poser un diagnostic le moins faux possible, il faut tenir compte de tous les autres signes cliniques et de leur agencement les uns avec les autres : c’est tout l’art du médecin et du psychologue. (...)

Danièle Linhart Il n’est pas évident de comprendre que des personnes puissent accepter et supporter si longtemps des situations aussi délétères, qui mettent à mal leur santé mentale. On a tendance à chercher des failles personnelles qui rendraient compte d’une incapacité à faire front et à gérer les tensions. Il faut préciser ce qui crée le burn-out. Celui-ci provient, pour les salariés, d’un contexte spécifique particulier qui se caractérise, avant tout, par le lien de subordination qui les relie à leur hiérarchie et leur direction. Qui se caractérise, ensuite, par une gestion de plus en plus individualisée, psychologisante et exigeante, qui transforme leur travail en une véritable épreuve solitaire. Qui se caractérise, enfin, par un changement perpétuel qui rend leurs connaissances, leur savoir et leur expérience obsolètes. Soit plusieurs dimensions qui créent une configuration particulière où il s’agit pour les salariés de remplir des missions le plus souvent complexes qui requièrent un travail intensif, alors que leur expérience et leur savoir professionnels sont mis à mal par des restructurations permanentes qui bouleversent tous leurs repères. Ce n’est pas sans similitude avec les travaux de Sisyphe, qui devait pousser un énorme rocher jusqu’en haut de la falaise, tout en sachant qu’il retomberait et qu’il lui faudrait recommencer sans cesse. (...)

Jean-Claude Delgènes Ce rejet témoigne que le déni n’est pas encore totalement levé. On bute sur le fait que le syndrome d’épuisement professionnel n’est pas reconnu en tant que maladie dans le DSM-5, qui est le manuel de référence des troubles mentaux édité par l’Association américaine de psychiatrie. Une position conservatrice est donc d’expliquer qu’il n’est pas possible d’aller vers la création de nouveaux tableaux de maladies professionnelles sur le sujet. (...)

Philippe Zawieja Si la communauté médicale est si réticente, c’est que, même avec ces réserves, le concept de burn-out pose lui-même de nombreux problèmes : il n’y a pas de consensus sur sa définition, ni sur la façon de le mesurer objectivement. À ce stade, les médecins disposent de concepts plus consensuels, avec des prises en charge médicamenteuses ou psychothérapiques reconnues : cela explique que le diagnostic posé est, beaucoup plus souvent, celui de dépression ou de trouble anxio-dépressif, voire de stress post-traumatique, qui sont, eux, des entités stables. Il existe aussi, ne le nions pas, des arguments financiers très forts. (...)

Danièle Linhart Il semble évident que le lien de subordination, qui s’impose, dans le cadre de la modernisation, de façon de plus en plus personnalisée, est un des fondements principaux de la vulnérabilité des salariés. II débouche sur l’absence d’échappatoire à cette situation de surchauffe permanente où tout change tout le temps et où les travailleurs sont ravalés au rang d’apprentis à vie. Le lien de subordination est une dimension archaïque de la mise au travail qui empêche toute transformation positive de l’organisation du travail et évolution prometteuse du salariat. Revendiquer son éradication permettrait d’inventer un salariat où les droits, les garanties et protections (nécessaires lorsque les individus s’engagent dans un travail) garantiraient l’invention de modalités de travail plus efficaces économiquement et socialement grâce à la mobilisation et au respect de l’intelligence et de l’expérience individuelles et collectives. (...)

Philippe Zawieja (...) La réintroduction de la dimension humaine dans le management me semble l’urgence. Le champ des améliorations possibles est vaste et n’induit pas forcément des investissements monstres ou des augmentations de salaires généralisées : je crois que les gens sont suffisamment adultes pour comprendre que l’argent n’y est pas forcément pour quelque chose, et pour s’indigner quand, en revanche, le respect n’y est pas… (...)