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le Monde Diplomatique
Extension du domaine de la régression
Frédéric Lordon Economiste, auteur de La Crise de trop. Reconstruction d’un monde failli, Fayard, 2009.
Article mis en ligne le 9 octobre 2011
dernière modification le 6 octobre 2011

A la veille d’un Conseil européen consacré à la crise de la dette, le Parlement portugais rejetait, le 23 mars, un plan destiné à réduire le déficit en rognant sur les dépenses sociales. Inébranlables, les gouvernements de la zone euro continuent à prescrire la pilule amère de la rigueur.

(...) Comme dans un rêve de Naomi Klein qui rattraperait les malfaçons de sa thèse initiale, le néolibéralisme européen met un soin particulier à se conformer à la « stratégie du choc » — mais d’un choc qu’il a lui-même largement contribué à produire.

On croyait déjà avoir vu du pays avec la « réponse » à la crise (financière privée) sous la forme de plans d’austérité (publique) sans précédent. Mais le prolongement du « pacte de compétitivité » nous emmène pour un autre voyage dont on ne voit même plus le terme. Jusqu’où le paradoxe de l’acharnement néolibéral en réponse à la crise néolibérale peut-il aller ?, c’est une question dont la profondeur devient insondable. (...)

Dans cet invraisemblable enchaînement où un choc séculaire n’entraîne aucune révision doctrinale mais bien la réaffirmation étendue de ce qui a si parfaitement échoué, la case « réduction des déficits » a logiquement donné lieu à une de ces « déductions » bizarres conduisant de l’échec prévisible des politiques d’austérité à l’impérieuse nécessité de les constitutionnaliser.

En dépit du matraquage qui répète ad nauseam que la rigueur est une stratégie de retour à la croissance et quoiqu’il nous ait valu quelques épisodes savoureux comme la « rilance » (1) de Mme Christine Lagarde, on voit mal comment les politiques économiques européennes — coordonnées pour la première fois, mais hélas pour le pire — pourraient ne pas produire l’exact contraire de ce qu’elles prétendent rechercher.
(...)

Cette aberration majuscule a aussitôt fait l’objet d’une de ces pantomimes d’expertise bien faites pour donner aux pires idées l’onction de la science (ou de la sagesse), et M. Michel Camdessus, toujours disponible pour aider, a rédigé très exactement le rapport qu’on attendait de lui. Au moins, d’un long repos après son départ du Fonds monétaire international (FMI), nous revient-il en forme ! (...)

Sans doute bien à l’image du dévoiement généralisé de la parole politique institué par le règne de M. Nicolas Sarkozy, le rapport, en cela la voix de son maître, met un empressement assez pervers à proclamer les plus hautes valeurs que toutes ses recommandations viennent ensuite méthodiquement trahir. (...)

Mais l’ironie grinçante du rapport, à moins qu’on ne diagnostique le dérèglement des facultés, est sans doute à son comble dans le désir allégué de ne plus faire dépendre la politique budgétaire des marchés financiers quand le dispositif de constitutionnalisation n’a pas d’autre finalité que de tout leur accorder !
(...)
M. Camdessus a maintenant pris confortablement l’habitude d’aller d’erreur historique en erreur historique — cependant, comme il est chrétien, il demande pardon ensuite (...)

l’essentiel est de dire « compétitivité », ce qui permet de s’en prendre aussi bien au salaire qu’à la productivité, c’est-à-dire potentiellement à toutes les conditions — monétaires, juridiques, conventionnelles, concurrentielles, matérielles — du travail, et cela désormais dans un climat de permanente surveillance multilatérale (8) au prétexte de la « convergence ». Aussi neutralisée soit-elle, la novlangue des communiqués européens ne parvient plus à cacher grand-chose de leurs intentions réelles, et les commentaires sont superflus pour comprendre de quoi il retourne au hasard de bouts de phrase (...)

Les « finances publiques » — qui permettent d’atteindre l’Etat social — et la « compétitivité » — qui affecte tous les domaines de la vie salariale — ont toujours été les deux obsessions de la régression. (...)

il se pourrait précisément que les conditions changent. Il faudra douze ou dix-huit mois pour que l’absurdité de la rigueur générale soit avérée et que, les ratios dette/PIB continuant leur irrésistible ascension, les marchés en prennent une conscience claire. Ce jour-là, ce n’est pas la pauvre EFSF, même aux moyens gonflés, qui pourra rattraper les défauts simultanés auxquels mèneront tous les taux d’intérêt emballés. Un scénario de fracture de la zone euro n’est pas moins probable qu’en décembre dernier. Pour le bloc qui se sera débarrassé des obsessions allemandes, la page sera à nouveau blanche, et l’occasion donnée de reconstruire autrement.

(...) Wikio